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Pianiste de choc Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 04/29/2010 - et 30 avril 2010 Leos Janácek : La Petite Renarde rusée, suite d’orchestre
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour piano n° 1, opus 23
Richard Strauss : Also sprach Zarathustra, opus 30 Simon Trpceski (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Jakub Hrůsa (direction)
J. Hrůsa et S. Trpceski
Le chef tchèque Jakub Hrůsa est né en 1981 et le pianiste macédonien Simon Trpceski en 1979 : une équipe très jeune, confrontée au test difficile du concert d’abonnement pour chef et pianiste invités… Soirée à risque, donc, mais en dépit du nombre limité de répétitions et d’éventuelles difficultés de communication avec l’orchestre inhérentes à l’exercice le résultat paraît d’une remarquable homogénéité, témoignant aussi de la plus grande adaptabilité et souplesse acquises par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg au cours des dernières saisons.
La direction du jeune Jakub Hrůsa, élève de Jirí Bělohlávek, est agréable et lisible, semblant bien maîtriser les moments clés de partitions de grande ampleur. Also sprach Zarathustra de Richard Strauss révèle cependant ici ou là un peu de timidité résiduelle, comme si la réserve naturelle du chef l’empêchait de vraiment fédérer ses forces pour « foncer dans le tas ». Dans le portique initial la modération des cuivres, soucieux d’éviter tout accident à ce moment attendu, renforce cette sensation de prudence. Mais ensuite ce souci d’assurer prioritairement les grands équilibres sans trop souligner les détails confère à ce difficile Zarathustra une séduisante continuité, qu’on ne lui connaît pas toujours. Une exécution sans tapage excessif, servie par un orchestre en bonne forme où chaque groupe instrumental conserve sa cohésion même dans les passages divisés. Solo de violon fermement tenu par Vladlen Chernomor, belles interventions de tous les premiers pupitres, dont la trompette incisive de Vincent Gillig : un vrai luxe instrumental est au rendez-vous, que l’on ressentait d’ailleurs déjà dans la jolie Suite de La petite renarde rusée, donnée ici dans l’arrangement de Václav Talich (d’autres versions sont possibles, celle-ci n’étant pas forcément la plus attractive quant au choix musicaux effectués).
Dans le 1er Concerto pour piano de Tchaïkovski, célébrissime scie de moins en moins présente aujourd’hui aux programmes des concerts, la même prudence relative du chef dilue le propos, surtout dans un premier mouvement que l’on peut concevoir moins éparpillé. Mais il est vrai qu’au cours de ces trois mouvements on n’a plus d’yeux et d’oreilles que pour la prestance exceptionnelle de Simon Trpceski, dont le jeu impeccable semble ignorer jusqu’à la possibilité d’un accident de parcours, au prix d’une forte concentration dans l’instant qui n’altère jamais la musicalité d’une interprétation aux phrasés soigneusement calibrés. Et l'élégante dégaine du pianiste, allure de James Bond qui accomplit des exploits improbables sans même froisser son smoking, renforce l’impression d’assister à un vrai spectacle d’action, grand public certes, mais de bon aloi. Assurément un artiste d’une envergure exceptionnelle, ce qui n’exclut pas une aptitude aux nuances et aux plus petits formats bien perceptible dans deux bis très soignés : « L’Alouette » extraite des Saisons de Tchaïkovski, et une Valse Opus posthume en la mineur de Chopin énergiquement phrasée, jamais salonnarde. Loin des contorsions maniérées ou pataudes de nombre de pianistes stars du moment, voilà un interprète d’une indéniable classe sur lequel on espère pouvoir compter durablement.
Laurent Barthel
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