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Alice au pays de l'opéra

Geneva
Grand Théâtre
06/11/2010 -  et 14, 17, 20, 22, 24 juin 2010
Unsuk Chin : Alice in Wonderland
Rachele Gilmore (Alice), Luna Arzoni & Jeanne Sapin (Alice enfant), Cyndia Sieden (Cheshire Cat), Karan Amstrong (Queen of Hearts), Laura Nykänen (Owl/Duchess), Dietrich Henschel (Mad Hatter/Duck), Andrew Watts (White Rabbit/March Hare), Guy de Mey (Mouse/Dormouse), Richard Stilwell (King of Hearts/Crab), Bruce Rankin (Badger/Cook), Ludwig Grabmeier (Eaglet/Five/Fish-Footman), Christian Immler (Dodo/Frog-Footman/Mock Turtle), Romaric Braun (Old Man 1/Seven), Phillip Casperd (Old Man 2/Executioner), José Pazos (Pat/Two/Invisible Man), Ernesto Molinari (Caterpillar, clarinette basse), Grégoire Maret (Gryphon, harmonica)
Chœur du Grand Théâtre, Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève, Orchestre de la Suisse romande, Wen-Pin Chien (direction)
Mira Bartov (mise en scène et chorégraphie)


(© GTG/Vincent Lepresle)


Le Lapin blanc, la Duchesse, le Chat… les personnages d’Alice au pays des merveilles sont bien dans le livret – en anglais - de David Henry Hwang et de la Coréenne Unsuk Chin (1961), que les mélomanes ont souvent découverte à travers un disque de la collection « 20/21 » de Deutsche Grammophon, où Patrick Davin dirige l’Ensemble intercontemporain – en France, certains se souviennent aussi de la première de son Concerto pour violon, en 2005, par Renaud Capuçon et Myung-Whun Chung. Après avoir pensé à Through the Looking Glass, elle jeta son dévolu sur Alice… non sans s’être assurée que son maître Ligeti renonçait de son côté à en faire un opéra.



D’une grande subtilité, la musique constitue une synthèse entre deux traditions : on pense parfois à Takemitsu. Si l’opéra peut sembler dépourvu de tension, le tempo du spectacle parfois s’étirer, le solo de clarinette basse - superbe Ernesto Molinari - remplaçant la Chenille s’éterniser. C’est que le temps musical n’est pas le nôtre : la répétition, par exemple, y joue un rôle. Les sonorités cristallines ou liquides, alors que l’orchestre d’Unsuk Chin peut ailleurs flamboyer, comme dans Rocaná, les alliages de timbres, notamment grâce aux percussions, qu’elle utilise toujours pour colorer son instrumentarium, gardent parfois une touche d’exotisme, propre à restituer un ailleurs, en l’occurrence l’univers de l’œuvre de Carroll – le clavecin, l’harmonica, la mandoline, l’accordéon intègrent également l’orchestre. Mais on sent bien aussi l’assimilation de siècles de musique et d’opéra occidentaux, avec des glissements naturels vers la tonalité ; on imagine aisément l’admiration pour Bartók, on sent la marque du Ravel de L’Enfant et les sortilèges, du Prokofiev de L’Amour des trois oranges. La voix renoue avec la tradition de la colorature brillante, ne serait-ce qu’à travers Alice, avec celle du pastiche néo-classique façon Rake’s Progress stravinskien (véritables « numéros », l’air de la Duchesse rappelle celui de Baba la Turque, la berceuse d’Alice au bébé celle d’Anne à Tom), avec celle des ténors bouffes chantant en voix de tête – le Lapin blanc - comme le Capitaine de Wozzeck, s’aventure ici ou là dans l’ambiguïté du Sprechgesang. Même si elle a pratiqué les musiques spectrale et électronique, la modernité d’Unsuk Chin est bien tempérée, confirmant l’intérêt de certains compositeurs d’aujourd’hui pour une musique accessible, surtout à l’opéra. Il y a en tout cas ici une marque de fabrique spécifique, parfaitement accordée à l’humour, à l’ironie, à la fantaisie, à l’absurde, à l’atmosphère onirique de l’œuvre de Carroll : encore une fois, si Unsuk Chin met en musique une action, elle crée avant tout des atmosphères.


La création d’Alice au pays des merveilles inaugura, sous la baguette de Kent Nagano, le festival de Munich en 2007, dans une mise en scène d’Achim Freyer. Pensant qu’une création ne rend pas toujours la vérité d’une œuvre nouvelle, ce que prouve maint exemple d’opéra célèbre, Tobias Richter a préféré solliciter une autre équipe. Il a bien fait : après une Dame du lac irritante et massacrée, la première suisse de l’opéra d’Unsuk Chin termine brillamment une saison qu’il a dû construire un peu en hâte quand le contrat de Jean-Marie Blanchard n’a pas été renouvelé. Posant des questions aussi essentielles que celles de l’enfance, de l’identité, du temps, du rêve, le sujet d’Alice n’a pas manqué de stimuler les psychanalystes : les metteurs en scène, à leur tour, pourraient être tentés par des « relectures » pesamment didactiques. La jeune directrice du Folkoperan de Stockholm depuis 2008, Mira Bartov, n’est pas tombée dans le piège : elle conserve à l’histoire toutes ses dimensions, signant une production virtuose et bigarrée – grâce également aux décors et aux costumes joliment color(i)és de Tine Schwab et aux lumières changeantes de Kristin Bredal - qui tient à la fois du conte et de la revue, de Walt Disney et de Broadway, tendre et piquante, pleine de finesse et de rythme, où l’on oscille entre rêve et réalité à partir du moment où Alice, femme d’affaires très occupée, s’apprête à prendre l’avion, avant de se retrouver enfant dans une petite fille. Toute la production n’est ensuite qu’une invitation au voyage – le hall du théâtre est lui-même transformé en salle d’embarquement, annonce de celle qui sert de décor unique au vagabondage initiatique d’Alice. C’est poétique et tonique, déjanté et maîtrisé.


La distribution ne mérite que des éloges. Même si Unsuk Chin n’écrit pas contre les voix, elle ne les ménage pas. Le colorature de Rachele Gilmore ne jongle pas seulement avec le suraigu, elle y garde de la rondeur, galbe les phrasés d’Alice, fraîche et jamais acide, parfois d’une mélancolie souriante. Dietrich Henschel, pas toujours convaincant ces derniers temps, retrouve en Chapelier fou la maîtrise de ses registres et de sa ligne, parfait diseur de surcroît. Andrew Watts, qui doit chanter à la fois comme un ténor et comme un contre-ténor, est époustouflant en Lapin blanc. Et Richard Stilwell et Karan Amstrong, bientôt septuagénaires, montrent que l’art peut transcender l’usure du temps, elle surtout, incroyable de présence et d’abattage, tirant parti, pour mieux faire la méchante, de l’hétérogénéité des registres et du fatal durcissement du timbre. Tous seraient à citer : ils forment, avec le concours d’un chœur toujours aussi bien préparé, un ensemble, remarquable d’enthousiasme et d’équilibre. Souvent invité par Tobias Richter lorsqu’il était maître des lieux à la Deutsche Oper am Rhein, Wen-Pin Chien était, dans la fosse – mais deux percussionnistes sur quatre sont à droite et à gauche de la scène – l’homme de la situation : direction précise, analytique, sans sécheresse pour autant, jouant subtilement sur les timbres et les rythmes, évitant la fragmentation, guide attentif des voix qui jamais ne se perdent.



Didier van Moere

 

 

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