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Musique contemporaine ou musique nouvelle ? Paris Salle Pleyel 11/19/1997 -
Mercredi 19 novembre 1997
Salle Chopin-Pleyel
Bohuslav Martinu : La revue de cuisine
György Ligeti : Six bagatelles pour quintette à vents
Guillaume Connesson : Deux images antiques : I Otium - II Les musiciens ambulants*
Edgar Varèse : Octandre*
Pascal Zavaro : Silicon music pour violon éléctrique et ensemble, création**
Ensemble Phoenix. Elisabeth Glab, violon solo.
Guillaume Connesson *, Pascal Zavaro ** (direction)
Jeudi 20 novembre 1997
Salle Pleyel
Jean-Louis Florentz : Les Jardins d’Amènta, conte symphonique opus 13
Hector Berlioz : Symphonie fantastique
Orchestre National de Lyon
Zdenek Macal (direction)
Vendredi 21 novembre 1997
Salle Pleyel
Léonard Bernstein : On the town, three dance episodes
Jean-François Zygel : La ville
Ottorino Respighi : Les fontaines de Rome
George Gershwin : Un Américain à Paris
Orchestre National des Pays de la Loire.
Hikotaro Yazaki (direction) Entre tango, charleston, et fanfares, la musique truculente, débridée et irrésistiblement vivante de Martinu (1927) introduisait ce concert où les vents étaient en position dominante. Les bagatelles de Ligeti, originalement composées pour piano (Musica recercata, oeuvre de jeunesse) sont orchestrées avec maestria pour quintette à vents, ensemble si difficile à maître en oeuvre. On ne peut qu’admirer la parfaite économie de cette musique multiforme, trop peu présentée au concert. Loin des clichés, Guillaume Connesson montre l’arrière-scène et l’équilibre de l’otium, terme de l’âge classique pour le loisir. Frivolité, distraction ? Pas uniquement. Ce vice vertueux (l’acidia) peut être ascétique. L’automation ne mène pas qu’à la schizophrénie. La solidification, la glaciation peut apparaître (utilisation des registres aigus). Extrême calme : la mort, comme une couleur figée, peut être le chemin ultime de l’ataraxie. Pour ce calme de la vie, cette inaction, Guillaume Connesson s’est inspiré de Pompei, idéalisation, à l’époque, de l’otium. Dans ses jardins, ses bas-reliefs idéalisants la nature sont sentis ici dans une musique sans action, magie de l’immobile. Si la formation employée est celle de L’histoire du soldat de Stravinski, une distance est prise quant à l’effet : les couleurs sont floues, impressionnistes. Après l’inquiétante étrangeté cette musique du silence, le contraste avec un autre loisir, les musiciens ambulants, est total. L’opposition passa notamment par le biais instrumental. La violente incantation d’Octandre (1923) précédait la pièce profondément originale de Pascal Zavaro. L’immense variété de textures et d’alliances des timbres met en regard, de même que Guillaume Connesson, plusieurs mouvements dissemblables. Ici la schizophrénie trouve une place : motivique, dynamique et agitée (glissades, cascades, klaxons), la musique est amplifiée par des enceintes. Cette transmission est le symbole de la fabrication de la reproduction et diffusion moderne. Mais ici la reproduction est directe. Elle accompagne une mise en squize d’icônes fragmentant la cité contemporaine.C’est une économie technologique de la musique qui est mise en scène pour détailler ces images. Contre la contraction, la torsion, la véritable digestion de la vitesse par la musique ; un temps aérien, un temps des phénomènes se met en place dans les mouvements lents. C’est encore l’occasion d’admirer, dans ce ‘concerto’, la merveilleuse Elisabeth Glab. En bref, un concert de musique de chambre parfait, offrant un regroupement très heureux de pièces contemporaines.
Si Jean-Louis Florentz est peu prolixe, c’est que chacune de ses oeuvres est l’aboutissement d’une maturation certaine. Ainsi ce conte symphonique est de vaste ampleur par la concentration de ses différents moments. De multiples couleurs pavent cette commande de l’orchestre lyonnais, inspirée du Livre des morts égyptien, de contes africains (une des sources de sa ‘poésie’) et du Psaume 42. Il s’agit également d’un requiem exultant et joyeux, pendant d’un précédent conte liturgique pour l’assomption de Marie : soit le Requiem de la Vierge (opus 7). La mort est évoquée sous d’autres cieux que ceux que l’on connaît. " Structure, esprit et sources sont étroitement mêlés " confie le compositeur. La multiplicité de ses visions et de ses sources s’incarnent avec une grande finesse dans l’orchestration rutilante et la rapidité évolutive des climats. Cette richesse instrumentale représenterait le " faste de la rencontre avec le ‘Visage’, lors du décès de chacun d’entre nous ". Ce requiem n’est pas la tristesse terrestre, mais au contraire la description du cheminement de celui qui part : après le voyage dans la barque solaire, le jugement de l’âme (psychostasie) précède l’entrée -ou non- dans les Jardins. La thématique du voyage, déjà fortement présente dans la vie de Jean-Louis Florentz, et entre les sources de diverses traditions, est ici emblématisée par le suprême voyage : celui de l’âme elle-même -ou celui du futur corps glorieux ? Cette superbe musique, d’une grande force expressive peu courante dans certaines créations contemporaines, était soutenue magnifiquement par l’Orchestre National de Lyon qui s’est par ailleurs remarquablement illustré dans la symphonie de Berlioz.
Un programme original était proposé aux auditeurs de la soirée du 21 : un parcours musical autour de la ville. Ou plutôt les villes, car en effet, si les mégalopoles sont considérées a priori comme génératrices de bruits, elles peuvent inspirer les compositeurs de diverses manières. Elles sont le vecteur d’un impressionnisme inquiétant, d’images imaginatives ou de fêtes débridées. Trois villes, plus ou moins, formaient ici le cadre des pièces : Rome, New-York, Paris. Cette dernière donnait lieu au fameux poème symphonique Un Américain à Paris (1928) de George Gershwin. Adoptant la forme descriptive, les bruits citadins sont inclus à même la partition pour former, avec les autres éléments d’une promenade, un paysage varié. Les célèbres et incroyables fontaines de la ville éternelle se déployent chez Ottorino Respighi (1917) en une orchestration solaire, localisée finement dans le spectre aigu des instruments. Par petites couches, la ville ondule selon quatre moments d’une journée. Les trois mouvements symphoniques tirés par Bernstein lui-même de sa première comédie musicale On the town (créé en 1944 à New York), donnent lieu à un ballet, une chanson et une alternance entre jazz et symphonie. Mais, bien sûr, après l’interprétation convaincante de ces trois visions, le moment attendu de ce concert était La ville de Jean-François Zygel, brillant compositeur, et professeur aux conservatoires supérieurs de Paris et Lyon. Le nonette Malaga, une de ses pièces les plus réussies avait déjà été crée lors des premiers " Paris de la musique ". Le vaste triptyque était présenté ici dans une version remaniée. Ce sont des tableaux d’impressions, de sentiments, de fluctuation de l’âme qui tissent le corps de la partition. Un fil onirique pourrait également servir de conducteur. Dans des ‘blocs’ de sensations, l’angle se focalise sur certaines humeurs que traduit -de même que chez Jean-Louis Florentz, mais avec moins de profusion- une remarquable maîtrise de la phalange symphonique. Entre ‘organisme’ et ‘jungle minérale’, aussi bien chocs de vie que refroidissement nocturne, cette pièce contenait de très beaux moments, aiguisés par des trouvailles orchestrales.
De nombreuses pièces présentées lors de ces " Paris de la musique " prenaient, fonctionnellement, le paradigme vivant pour se propulser. Ce symbole ne serait-il pas une place recherchée entre tradition et modernité, une place pour l’alliance joyeuse des influences ?
Frédéric Gabriel
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