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Dans la lumière de Debussy Paris Hérouville (Eglise Saint-Clair) 06/06/2010 - Jacques Ibert : Deux Interludes
Gabriel Fauré : Après un rêve, opus 7 n° 1 – Sicilienne, opus 78 – Fantaisie, opus 79
Karol Beffa : Eloge de l’ombre
Marcel Tournier : Images, quatrième suite, opus 39
Philippe Hersant : Trois nocturnes pour flûte, alto et harpe
Claude Debussy : Sonate n° 2 pour flûte, alto et harpe
Clément Dufour (flûte), Arnaud Thorette (alto), Emmanuel Ceysson (harpe)
Chacune des sept semaines adopte l’une des couleurs de l’arc-en-ciel et la couverture du programme hebdomadaire brille de reflets argentés, mais entre Auvers-sur-Oise et la musique, les noces d’argent ont déjà été célébrées, puisque ce sont cette année les noces de perle: trente ans d’essor continu pour le festival, qui se souvient de ses vedettes (Cziffra, Richter, Janowitz, Hendricks, Raimondi, ...) tout en étant légitimement fier de ses découvertes (Matsuev, Neuburger, Petibon, ...). Pascal Escande, qui le fonda en 1981, en assure toujours la direction artistique: du 27 mai au 2 juillet, cette trentième édition se déroule dans plusieurs lieux du Val d’Oise, mais reste bien évidemment avant tout fidèle à l’église Notre-Dame d’Auvers, immortalisée par van Gogh.
La présence d’Henri Dutilleux, qui s’inspira de La Nuit étoilée du peintre hollandais dans Timbres, espace, mouvement, constitue l’un des points forts de la programmation, puisque la journée du 24 juin lui sera intégralement consacrée. Avant un concert monographique pour lequel il aura peut-être pu achever la troisième de ses Citations, ce sera la création d’une «Suite Auvers Opus 30»: en l’honneur de leur aîné, les compositeurs français invités au cours des neuf précédents festivals (Bacri, Tanguy, Connesson, Escaich, Dusapin, Hersant, Mantovani, Beffa et Campo) ont en effet conçu chacun une courte pièce pour piano sur les notes du nom «Auvers», qui sera interprétée chacune par un pianiste différent.
Le dimanche après-midi, les concerts sont donnés sans entracte et un nombreux public est venu entendre dans l’excellente acoustique de la petite église romane Saint-Clair d’Hérouville la première rencontre de trois jeunes musiciens qui accomplissent déjà de belles carrières, Clément Dufour (né en 1987), Arnaud Thorette (né en 1977) et Emmanuel Ceysson (né en 1984). Le premier – à ne pas confondre avec Mathieu Dufour, également flûtiste (à l’Orchestre de Chicago) – a remporté le premier grand prix du concours Jean-Pierre Rampal en 2005; le deuxième est altiste au sein du Quatuor Raphaël, avec lequel il vient de se voir décerner le deuxième prix du concours de Bordeaux (voir ici); le troisième, enfin, est harpe solo à l’Opéra national de Paris et a obtenu un premier prix au concours de l’ARD (Munich) en 2009.
Arnaud Thorette présente brièvement aux spectateurs les premières œuvres du programme, intitulé «La Harpe poétique». Ecrits à l’origine pour flûte, violon et harpe (ou clavecin), les deux Interludes (1946) de Jacques Ibert servaient de musique de scène pour Le Burlador, première pièce de l’écrivain belge Suzanne Lilar (1901-1992): voilà qui explique pourquoi ces deux miniatures consistent en une aria d’obédience baroque puis en une vive et gracieuse espagnolade. Viennent ensuite trois courtes pièces de Fauré: des arrangements pour alto et harpe de la mélodie Après un rêve (1878) puis pour flûte et harpe de la non moins incontournable Sicilienne (1898), suivis de la Fantaisie pour flûte (1898) où la harpe remplace le piano. On ne sait ce qu’il faut d’abord admirer chez Arnaud Thorette – la justesse, l’expression, le phrasé – et chez Clément Dufour – la sonorité, la virtuosité, la musicalité – toutes qualités au demeurant parfaitement interchangeables qui pourraient aussi bien s’appliquer à l’un qu’à l’autre de ces artistes.
Confiné jusqu’alors principalement à un rôle d’accompagnement, Emmanuel Ceysson prend ensuite seul la parole, y compris au sens propre, puisqu’il décrit en quelques mots les quelques pages qu’il s’apprête à jouer. Commande pour le concours Lily Laskine, le lancinant Eloge de l’ombre (2005) de Karol Beffa, «invité» à Auvers en 2008, pourrait laisser penser que l’harmonie et l’écriture pour la harpe n’ont guère évolué depuis Fauré. Second grand prix de Rome en 1909, Marcel Tournier (1879-1951) succéda en 1912 à Hasselmans au Conservatoire (où Lily Laskine prit elle-même sa suite en 1948) et a notamment laissé pour son instrument quatre Suites d’Images comprenant trois pièces chacune. Davantage que le langage, qui serait plutôt celui d’un Respighi de la harpe, les titres, à commencer par celui du recueil, évoquent Debussy: mettant en valeur le brio d’Emmanuel Ceysson, la Quatrième suite (1932) évolue ainsi des gazouillis et coucous de «La Volière magique» vers l’animation très spectaculaire de «La Danse du moujik», en passant toutefois par les secondes obsédantes de «Cloches sous la neige», qui rappellent inévitablement «Des pas dans la neige».
Les trois musiciens sont à nouveau réunis pour les Trois nocturnes (2001) de Philippe Hersant, «invité» de l’édition 2006: bien loin de Chopin, et même si la formation, le titre aussi bien que le climat mélancolique renvoient ici encore à Debussy, ce triptyque s’inscrit dans la filiation des «musiques nocturnes» de Bartók, et peut-être encore davantage dans celle de Jolivet, qui fut l’un des maîtres du compositeur, tant la mélodie évolue sans cesse vers l’incantation. Cela étant, le volet central, où les exclamations du piccolo et les arpèges frénétiques de l’alto entretiennent une atmosphère sauvage, n’en est pas moins un hommage aux dernières pièces de... Liszt, dont sont citées la Bagatelle sans tonalité et la Csardas obstinée. Pas de concert flûte/alto/harpe sans la Sonate (1915) de Debussy, bien sûr, le trio offrant successivement une «Pastorale» éminemment poétique, un «Interlude» comme éclaboussé par la lumière de cette journée à nouveau ensoleillée et un «Finale» à l’énergie communicative. Repris en bis, c’est cependant le second des Interludes d’Ibert qui conclut.
Le site du festival d’Auvers-sur-Oise
Le site de Clément Dufour
Le site d’Arnaud Thorette
Le site de Philippe Hersant
Simon Corley
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