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Barenboim au sommet de son art Milano Teatro alla Scala 05/13/2010 - et 16, 19, 22, 26, 29* mai 2010 Richard Wagner: Das Rheingold René Pape (Wotan), Jan Buchwald (Donner), Marco Jentzsch (Froh), Stephan Rügamer (Loge), Johannes Martin Kränzle (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Kwangchul Youn/Tigran Martirossian* (Fasolt), Timo Riihonen (Fafner), Doris Soffel (Fricka), Anna Samuil (Freia), Anna Larsson (Erda), Aga Mikolaj (Woglinde), Maria Gortsevskaya (Wellgunde), Marina Prudenskaya (Flosshilde)
Orchestre de la Scala de Milan, Daniel Barenboim (direction musicale)
Guy Cassiers (mise en scène), Guy Cassiers et Enrico Bagnoli (décors), Tim Van Steenbergen (costumes), Enrico Bagnoli (lumières), Arjen Klerkx et Kurt d’Haeseleer (vidéo), Sidi Larbi Cherkaoui (chorégraphie)
(© Marco Brescia/Archivio Fotografico del Teatro alla Scala)
La politique s’immisce dans les opéras italiens. Alors que de nombreux théâtres lyriques de la Péninsule sont déjà pratiquement moribonds, un nouveau décret gouvernemental prévoit des coupes supplémentaires dans les institutions artistiques, crise budgétaire oblige. Des grèves ont éclaté un peu partout, avec pour conséquence l’annulation de plusieurs représentations, dont la première de L’Or du Rhin à Milan. Et au lever de rideau de la dernière, les spectateurs découvrent non pas les ondulations du Rhin, mais un groupe d’employés de la Scala devant un immense calicot «Non au décret, oui à la culture et à la musique» demandant la solidarité du public. Si les applaudissements sont nourris, ils ne réussissent pas toutefois à couvrir quelques manifestations de colère face à cette protestation. En Italie, l’opéra déclenche toujours les passions...
Ce début de Tétralogie à la Scala vaut d’abord pour la superbe direction de Daniel Barenboim. Si le chef n’a pas totalement convaincu dans Bizet et Verdi cette saison à Milan, il prouve ici avec maestria qu’il est l’un des plus grands interprètes actuels de Wagner. Sa lecture est fluide et légère, sans déchaînements sonores tonitruants, riche en détails et en nuances, mais surtout incroyablement dramatique, malgré des tempi plutôt lents, faisant progresser la tension sans aucun temps mort. Les deux heures et demie de la soirée passent très vite. La distribution, sans atteindre des sommets, n’en est pas moins d’un bon niveau d’ensemble. S’y détachent nettement le Wotan de René Pape – une prise de rôle –, le Loge de Stephan Rügamer, l’Alberich de Johannes Martin Kränzle et le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke. Aucun des autres solistes ne démérite.
La Scala a fait preuve d’audace en engageant pour ce nouveau Ring le belge Guy Cassiers, homme de théâtre certes reconnu, mais novice à l’opéra. Le coup d’essai s’est révélé un coup de maître. Abordant l’ouvrage avec humilité, le metteur en scène n’a certes rien conçu de révolutionnaire, mais a signé une production lisible, esthétisante et poétique. A son actif notamment, une caractérisation de certains personnages très fouillée, à l’image de Loge et d’Alberich, qui occupent une place centrale dans ce Prologue, même si, à l’inverse, le Wotan de René Pape paraît plus sommaire. Coutumier de l’utilisation de la vidéo, Guy Cassiers n’a pas dérogé à la règle à Milan, avec de belles projections de vagues, d’or, d’une vallée verte, des viscères de la terre ou encore des ombres géantes de Fafner et Fasolt. L’idée maîtresse de cette production vient pourtant de la présence de danseurs sur le plateau, de bout en bout du spectacle, des danseurs qui non seulement exécutent des mouvements chorégraphiques, mais qui sont aussi des doubles des personnages, qui décrivent l’action (par exemple lorsqu’une danseuse touche l’œil de Wotan alors que ce dernier explique être borgne) ou qui forment des objets tels qu’un trône ou une table.
Coproduit par la Staatsoper unter den Linden, le spectacle sera proposé à Berlin en octobre. A Milan, l’aventure se poursuivra en décembre avec La Walkyrie; un cycle complet est d’ores et déjà prévu en 2013, pour l’année Wagner. Il ne reste plus qu’à espérer que d’ici là, aucun autre décret n’aura vidé la culture italienne de sa substance.
Claudio Poloni
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