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Un certain Boulez

Paris
Salle Pleyel
05/28/2010 -  
Luciano Berio : Quatre Dédicaces: «Encore»
Elliott Carter : Three Occasions: «Anniversary»
Franco Donatoni : Tema (extrait) (*)
Karlheinz Stockhausen : Klavierstück V, n° 4
György Ligeti : Kammerkonzert (troisième mouvement) (*)
György Kurtág : Stèle, opus 33 (deuxième mouvement) (*)
Pierre Boulez : Notations III et II
Jean-Baptiste Robin : Distances (création) (*)
Helen Grime : Virga (création française)
Marc-André Dalbavie : Concertate il suono

Dimitri Vassilakis (piano)
Orchestre de Paris, Ensemble intercontemporain (*), Pierre Boulez (direction)




Pierre Boulez a célébré ses 85 ans à Vienne en mars mais à Paris, même s’il s’est produit le mois dernier à la tête de l’Orchestre de l’Opéra dans un programme Messiaen (voir ici), c’est l’Orchestre de Paris qui lui rend l’hommage le plus considérable: gigantesque «carte blanche» donnant lieu à un impressionnant déploiement de moyens instrumentaux et accompagnée de la sortie d’un opuscule d’une centaine de pages en forme de carnet à spirales, Pierre Boulez, un certain parcours, reprenant le titre ces deux soirées-fleuves à Pleyel. Il n’est pas surprenant de retrouver ici la formation avec laquelle il fit son retour à Paris, le 5 janvier 1976 au Palais des Congrès, à l’invitation de Daniel Barenboim dès sa première saison en tant que directeur musical: première rencontre ouvrant sur une collaboration quasi ininterrompue, jusqu’à un important cycle de ses œuvres en 2007 à l’instigation de Christoph Eschenbach.


«Parcours» narratif et chronologique, mais aussi portrait du chef et du compositeur, au travers de ces références attendues qui se succèdent le jeudi au cours de la première partie, pour laquelle l’Ensemble intercontemporain et l’Orchestre de Paris sont associés, comme à la grande époque des «concerts à deux orchestres»: Bartok, Berg, Debussy, Messiaen, Ravel, Schönberg, Stravinski, Varèse et Webern. Cette «Brève anthologie», ainsi qu’il le précise lui-même, «n’est pas une encyclopédie, car j’aime aussi dans le XXe siècle Janácek, Szymanowski (un étrange et surprenant avatar de Scriabine) et Scriabine lui-même». Elle procède par courts extraits, démarche qui, si elle évoque fâcheusement l’antenne de Radio Classique, est dûment justifiée par Boulez: «Il y a toujours dans une trajectoire des moments que l’on peut isoler parce qu’ils sont plus signifiants que les autres, plus frappants, plus en cohésion avec les autres, et qu’ils polarisent l’attention à un moment donné. On peut donc tout segmenter. Ne serait-ce que parce que le compositeur lui-même a été "segmenté", et qu’il n’a pas écrit sa composition d’un seul tenant.»


Après ces «grands classiques» bouléziens, le parcours musical proprement dit s’interrompt pour un «essai de portrait» de près d’une heure et demie: sur une idée d’Eric Picard, violoncelle solo de l’Orchestre de Paris, qui en a écrit le texte avec Gilles Since et Sarah Barbedette, «Pierre Boulez, ses "pour" et ses "contre"» consiste en une biographie, bon enfant, mais plus facétieuse et espiègle qu’académique, lue par le hautboïste Gildas Prado et le flûtiste Vicens Prats. Elle réserve des moments parfois surprenants, des Folies-Bergère à Yvette Horner en passant par la Mercedes, entrecoupés par des ponctuations sonores de caractère le plus souvent humoristique, offertes par quelques musiciens des deux formations, réunis au besoin en une chorale ad hoc. Tour à tour stoïque et amusé, l’intéressé, interrogé par Jean-Pierre Derrien, commente les différents épisodes, assumant ses «facettes contradictoires» et se laissant presque attendrir par la Gavotte des baisers de Francis Popy (1874-1928) que lui adressent tous les participants pour conclure.


En présence de nombreux fidèles – Pierre-Laurent Aimard, Jean-Efflam Bavouzet, Patrice Chéreau, Catherine Tasca, ... – mais aussi d’Henri Dutilleux – quand diable Boulez consentira-t-il enfin à interpréter sa musique? – le vendredi est consacré aux deux dernières parties du «parcours». Comme la veille, les deux formations alternent sur scène, requérant moult complexes changements de plateau qui, malgré toute la diligence dont font preuve les régisseurs et techniciens pour déplacer pupitres, instruments et micros, viennent à chaque fois casser le rythme. D’un pas vif, Boulez entre en scène dans la foulée des musiciens de l’Orchestre de Paris, avant même que ceux-ci ne se soient accordés. La deuxième partie passe en revue «Une autre génération» – la sienne, à l’exception de Carter – et débute avec deux pièces écrites pour des occasions spéciales: d’abord «Encore» (1978), dernière des Quatre dédicaces de Berio (pour les 60 ans du Philharmonique de Rotterdam), jubilatoire et virtuose comme peut l’être le «bis» qu’évoque son titre; ensuite le somptueux expressionnisme d’«Anniversary», deuxième des Three occasions (1989) de Carter – autre faux-ami, puisqu’il s’agit en anglais d’anniversaire de mariage (en l’espèce les noces d’or du compositeur).


Réduire Tema (1981) à ses sept dernières minutes n’aurait sans doute pas choqué Donatoni, pour lequel «l’œuvre considérée en son entier» avait un «caractère de fragment»: l’Ensemble intercontemporain, qui créa cette page volontiers ludique voici près de trente ans, se joue de ses difficultés, de même que de celles du troisième mouvement du Concerto de chambre (1970) de Ligeti. Entre-temps, Boulez s’est assis sur le côté pour entendre, quasiment dans le noir complet, Dimitri Vassilakis dans le Klavierstück V (1954) de Stockhausen («au début des années 1950, une même exigence nous a rapprochés»). Retour au grand orchestre et à une atmosphère plus sombre pour le deuxième mouvement de Stèle (1994) de Kurtag, qui s’insère toutefois sans peine dans cette superbe sélection, comme un démenti à certaines idées aussi fausses que tenaces sur la musique de notre temps. Enfin, dans deux de ses Notations (1980), la III puis la II – qui, ne ratant jamais son effet, sera bissée – Boulez donne l’impression de succomber bien moins que d’autres aux chatoiements et séductions de sa propre composition, qui fut créée en son temps par l’Orchestre de Paris.


Troisième et dernière partie du parcours, «Et maintenant?» commence par la création de Distances de Jean-Baptiste Robin (né en 1976), élève de Zygel, Dalbavie et Benjamin. D’une durée de près de 10 minutes et écrite pour une quinzaine de musiciens, cette pièce d’un raffinement sauvage ne manque ni de références ni de poésie, résultant du travail sur les oppositions de registres et de climats sans cesse changeants. Le public réclame en vain le compositeur, qui n’apparaîtra qu’en fin de soirée en compagnie de Helen Grime (née en 1981). Boulez décrit Virga (2007) comme une «œuvre bien rédigée et personnelle», ce que confirme la première audition de cette page pour grand orchestre d’un peu plus de 5 minutes.


De Marc-André Dalbavie, qui fut durant trois ans en résidence à l’Orchestre de Paris, Boulez affirme qu’à sa sortie du conservatoire, le jeune compositeur avait «un talent et une pratique musicale bien plus développés que je n’avais à son âge». Et c’est lui qui créa à Cleveland Concertate il suono (2000), dont les exigences en termes de spatialisation se placent dans la descendance de Répons, avec ces concertinos et ripienos censés cerner l’auditeur. Censés, car Boulez, très en verve avec Dalbavie et Derrien debout dans les tribunes du chœur pour une conversation destinée à meubler l’ultime changement de plateau, ne se fait pas prier pour regretter l’inadaptation des salles de concert au défi de l’espace. Alors qu’il est justement célèbre pour son intransigeance, il est étonnant qu’il ait accepté une solution de compromis pour diriger l’œuvre à Pleyel, le groupe instrumental normalement situé derrière le public étant ici placé au fond, derrière la masse de l’orchestre. Boulez n’en invite pas moins le public, plutôt qu’à tenter de «regarder comme une partie de tennis», à prêter l’oreille aux clarifications et complexifications provoquées par cette disposition particulière. De fait, même dans ces conditions insatisfaisantes, ces près de 25 minutes demeurent un habile et brillant kaléidoscope, permettant en outre aux spectateurs de profiter de la célèbre gestuelle du chef, grâce au dispositif mis en place pour les musiciens situés dans son dos au premier balcon et projetant son image au-dessus de la scène.


Le site de Jean-Baptiste Robin



Simon Corley

 

 

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