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Magdalena de Villa-Lobos : « une aventure musicale » Paris Théâtre du Châtelet 05/18/2010 - et 19, 20*, 21, 22 mai 2010 Heitor Villa-Lobos : Magdalena Marie-Eve Munger (Maria), Aurélia Legay (Teresa), Mlamli Lalapantsi (Pedro), François Le Roux (Général Carabana), Victor Torres (Padre José), Harry Nicoll (le Vieil Homme), Vincent Ordonneau (Zoggie), Matthew Gonder (Major Blanco)
Chœur du Châtelet, Orquesta sinfónica de Navarra, Sébastien Rouland (direction)
Kate Whoriskey (mise en scène) (© Marie-Noëlle Robert)
Qu’a-t-on fait à Paris pour le cinquantenaire de la mort de Villa-Lobos, disparu en 1959 ? Pas grand-chose, à vrai dire. La France est bien ingrate pour un de ses plus grands amis, qui y séjourna souvent, fut d’emblée estimé par le milieu musical, dirigea le National et grava avec lui des enregistrements devenus légendaires – à commencer par la Cinquième Bachianas Brasileiras chantée par l’inégalable Victoria de los Angeles. On n’aime pas toujours, il est vrai, ces musiciens qui, loin de renier l’héritage de la grande tradition occidentale, puisent aux sources du folklore : si Bartók ou Janáček se sont imposés, Enesco, Szymanowski, voire Falla, n’encombrent pas les programmes de concert. Avec Villa-Lobos, il y a pourtant de quoi faire, tant son œuvre est abondante et variée. Douze symphonies, cinq concertos pour piano, dix-sept quatuors à cordes, quatre opéras, quinze Chôros, neuf Bachianas Brasileiras, pour ne rien dire des œuvres pour piano, dont un Arthur Rubinstein hier, un Nelson Freire aujourd’hui, nous ont rappelé la hauteur d’inspiration.
Le Châtelet était donc bien inspiré de monter, dans le cadre de la résurrection régulière de musicals, cette Magdalena, rivière de Colombie et non pas prénom féminin, terminée à Paris et créée en 1948 à Los Angeles, reprise ensuite à San Francisco et à New York, où une grève mit fin à des représentations triomphales. Un « musical adventure », mis en scène par Jules Dassin, commandé à un compositeur qui doit apprendre l’anglais en toute hâte et tricoter en deux mois une partition à partir de morceaux déjà connus et aimés du public. Pour être sûr du succès, on a sollicité les deux librettistes de Song of Norway, une opérette d’après Grieg dont le triomphe avait rempli les caisses d’un théâtre new-yorkais : Robert Wright et George Forrest. On n’a pas non plus lésiné sur les moyens, alors que Villa-Lobos, au moment de la création, a besoin de ses tantièmes pour financer une opération du cancer de la vessie.
Une histoire pleine de bons sentiments, un peu guimauve parfois, qui pose pourtant des questions graves. Si nous rions du général glouton Carabana dont la maîtresse Teresa, qui tient un café à Paris, flatte la boulimie afin de se faire entretenir, on prend fait et cause pour les travailleurs indiens de sa mine d’émeraudes, miséreux scandaleusement exploités. Lorsqu’ils se mettent en grève, nous nous demandons s’il faut, comme Maria, leur chef, négocier ou, comme Pedro son fiancé, se révolter. Mais Maria est chrétienne fervente, toute dévouée à la Madone que Pedro, ne voyant dans la religion que l’obstacle opposé à la lutte par la superstition, a dérobée. Madone et Christ, de toute façon, ont un rival : Teru, l’oiseau des forêts, que les Indiens continuent à vénérer. Qu’on se rassure cependant : si Maria a consenti, pour obtenir la paix sociale, à épouser le général ventripotent, la jalouse Teresa l’a assez gavé pour qu’il en crève. Et si le sinistre major Blanco a fait sauter le camion de Pedro, celui-ci ne perd pas la vie et peut épouser Maria… sous le regard de la Madone qu’il a fini par rapporter. La musique de « l’Indien blanc », si elle n’est pas celle qu’il faut écouter d’abord pour se faire une idée de son génie, ne manque ni de charme ni d’invention, avec cette réinvention si particulière du folklore amérindien, ce sens inépuisable du rythme, ce mélange de primitivisme élaboré et de tradition savante, ces multiples clins d’œil à des siècles de musique occidentale, de Bach à Offenbach. Et Villa-Lobos renoue avec la parodie, où Bach et Haendel étaient passés maîtres quand ils recyclaient d’anciens morceaux, empruntés à eux-mêmes ou à d’autres.
La production du Châtelet satisfait surtout vocalement. La Maria de Marie-Ève Munger fait valoir une voix souple et fruitée, une technique assez sûre pour chanter des aigus pianissimo et une bien jolie ligne de chant. Si l’on a plaisir à retrouver en Padre José le beau baryton de Victor Torres, dont certains héros verdiens ont laissé des souvenirs, Mlamli Lalapantsi, qui était Andy dans Treemonisha, campe un parfait Pedro, au joli timbre et au style adéquat. Mais la Teresa d’Aurélia Legay – la fille de Henri –, mariée à l’impayable général de François Le Roux, les domine tous, par son abattage vocal et scénique, à la fois rigolote et bien chantante. Très sollicité ici, le Chœur du Châtelet, contribue à la réussite de l’ensemble, plus que l’orchestre navarrais, dont Sébastien Rouland n’arrive pas à canaliser le désordre. Plus enfin que la mise en scène de Kate Whoriskey, illustrative et au premier degré, aussi peu inventive que la chorégraphie approximative de Warren Adams, et malheureusement trop adaptée au kitsch des décors, vraiment pas beaux, de Derek McLane.
C’est dommage, mais on était d’abord venu, après tout, pour Villa-Lobos. Cette Magdalena reste donc un événement à ne pas manquer, comme la parution, chez Bleu Nuit, du livre de Rémi Jacobs, qui comble avec talent une lacune de l’édition musicale.
Didier van Moere
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