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Bruckner sans ferveur Paris Théâtre des Champs-Elysées 05/13/2010 - et 11 (München), 15 (Köln) mai 2010 Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur (ed. Nowak)
Münchner Philharmoniker, Lorin Maazel (direction)
L. Maazel (© Chris Lee)
Au-delà du programme donné ce soir, ce concert faisait véritablement figure de passation des pouvoirs. En effet, Christian Thielemann, actuel directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Munich, ne verra pas son contrat renouvelé au-delà de 2011. Le grand chef allemand partant prendre la tête de la Staatskapelle de Dresde, c’est donc à Lorin Maazel qu’échoit la rude tâche de prendre sa succession, à compter de la rentrée 2012. Agé de plus de 80 ans, ayant dirigé tous les orchestres du monde, Maazel n’est pas un inconnu pour la ville de Munich puisqu’il a été le directeur musical du merveilleux Orchestre symphonique de la radio bavaroise de 1993 à 2002. Il a par ailleurs dirigé le Philharmonique de Munich à de nombreuses reprises : aucun doute, il est ici en terrain connu.
Peut-on en dire autant à l’égard de la Huitième symphonie d’Anton Bruckner (1824-1896) ? Le fait est que Bruckner est loin de figurer parmi les compositeurs de prédilection de Maazel : tout au plus peut-on signaler une honnête Cinquième gravée à la tête de la Philharmonie de Vienne (Decca, 1974) ainsi que les Septième et Huitième avec le Philharmonique de Berlin (EMI, 1988-1989) et diverses bandes radio ou enregistrements pirates. L’œuvre programmée ce soir (en lieu et place de la Cinquième que Thielemann devait diriger) marque l’accomplissement de Bruckner. L’écriture témoigne toujours d’un esprit torturé, le compositeur n’hésitant pas à remettre sur la table un ouvrage a priori achevé, mais ô combien imaginatif, le propos étant servi par un orchestre foisonnant qui, au-delà des grandes fresques sonores prisées par Bruckner, respecte également chaque individualité.
Et le fait est que le résultat fut, de ce point de vue, au rendez-vous. L’Orchestre philharmonique de Munich, rompu à l’œuvre brucknérienne depuis des décennies (Günter Wand, Sergiu Celibidache et Christian Thielemann ont présidé à sa destinée !), impressionne par la multiplicité de ses qualités. Des cordes somptueuses (emportées par l’aura du Konzertmeister Lorenz Nasturica-Herschcowici) où domine notamment un pupitre de contrebasses à faire pâlir d’envie n’importe quel orchestre au monde, des solistes d’une infinie délicatesse (les cors, les bois avec, notamment, la clarinette d’Alexandra Gruber et le hautbois d’Ulrich Becker) font de ce concert, avant tout, une véritable fête sonore. On en sort totalement transporté tant l’impression laissée par l’orchestre fut forte.
En revanche, on n’en dira pas autant de la direction et, surtout, de la conception délivrée par Lorin Maazel. Un concert dirigé par ce chef fait toujours figure de rendez-vous périlleux puisque ses prestations, selon les soirs, peuvent aller du sublime au catastrophique (lire ici) : force est de constater que le concert de ce soir nous rapprochait nettement du premier terme de l’alternative. Même si Maazel fait toujours preuve de certains tics (ralentissant de façon trop évidente certains passages afin de leur conférer davantage de grandiloquence comme ce fut le cas dans l’Adagio ou à la fin du quatrième mouvement, tenant certaines notes alors que la partition ne l’exige pas comme ce fut le cas dans le Trio du Scherzo, jouant sur la palette sonore de manière artificielle), sa conduite fut néanmoins dominée par une assez grande sobriété. Mais c’est surtout au niveau du climat que Maazel déçoit. Où sont passés ces silences qui, normalement, doivent prolonger la phrase musicale qui les précèdent ? Ici, point de liaison mais, au contraire, une césure nette qui, à force de répétition, hache le discours musical. Les lignes ne sont plus tenues et, en plus d’une occasion, le discours tend à s’étioler. En outre, le manque de respiration, de tension (dans les gammes ascendantes au début de l’Adagio, conclues par les harpes) et de recueillement font de cette Huitième une très belle fresque sonore où la forme édulcore en grande partie le fond. Même si Lorin Maazel a, ce soir, prouvé qu’il pouvait toujours être un grand chef, on préfère en rester aux interprétations brucknériennes qui confèrent à cette symphonie ce supplément d’âme propre à la faire passer de l’état de partition géniale à celui de pur chef-d’œuvre.
Le site de l’Orchestre philharmonique de Munich
Le site de Lorin Maazel
Sébastien Gauthier
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