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Des Contes d’Hoffmann pour la postérité Paris Opéra Bastille 05/07/2010 - et 9*, 12, 17, 20, 23, 26, 29 mai, 1er, 3 juin Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann Laura Aikin (Olympia), Inva Mula (Antonia), Béatrice Uria-Monzon (Giulietta), Ekaterina Gubanova (La Muse/Niklausse), Giuseppe Filianoti (Hoffmann), Cornelia Oncioiu (Une voix), Rodolphe Briand (Spalanzani), Jason Bridges (Nathanaël), Alain Vernhes (Luther, Crespel), Léonard Pezzino (Andres, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Franck Ferrari (Lindorf, Coppelius, Dr Miracle, Dapertutto), Vladimir Kapshuk (Hermann), Yuri Kissin (Schlemil)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Jesús López Cobos (direction)
Robert Carsen (mise en scène)
On l’a déjà écrit : les anciennes mises en scène sont comme les vieilles voitures. Il faut changer les unes et ranger les autres parmi les modèles de collection. Les Contes d’Hoffmann de Robert Carsen relèvent de la seconde catégorie. Le théâtre dans le théâtre, avec cette représentation omniprésente de Don Giovanni ou s’activent les machinistes – la taverne de Maître Luther n’est que le bar du théâtre, l’acte de Venise se passe dans la salle du Palais Garnier, l’acte d’Antonia descend dans la fosse d’orchestre… du même Palais Garnier – qui reviendra dans la mise en scène de Capriccio. La fascination pour la mort de l’artiste délirant, mort au monde à cause – et grâce à – ses échecs amoureux, le dernier tableau le montrant dans l’obscurité de la coulisse vide, avec sa Muse pour seule compagnie. Olympia poupée de plaisir et de sexe, Antonia symbole du chant de la mort et de la mort du chant, Giulietta vamp allumeuse et tortueuse au pouvoir d’un Dapertutto metteur en scène. Le brouillage entre les frontières du rêve, ou plutôt de l’hallucination délirante, et de la réalité. Le Canadien jongle avec tout cela en virtuose inspiré, aidé par les éclairages de Jean Kalman : du coup, dix ans après, même si l’on se souvient des lectures excitantes de David McVicar à Salzbourg ou d’Olivier Py à Genève, on reste sous le charme persistant de cette production, hymne à la création douloureuse et féconde, un des spectacles phares, comme Billy Budd, de l’ère Gall.
Musicalement, cela tient la route aussi, bien que l’on éprouve plus de satisfaction que de vertige. Jesús López Cobos a du métier, de la finesse, voire de l’élan ; l’inspiration seulement lui fait défaut, le grain de folie du théâtre sans lequel Les Contes ne sont qu’un opéra parmi d’autres. Giuseppe Filianoti, comme tant de Hoffmann, touche ici à ses limites, surtout dans le redoutable acte de Venise, qui met en péril les plus vaillants ; mais cela ne messied pas à un poète entre l’alcool et la mort, confondant la vie et ses fantasmes : la composition est juste et le ténor italien sait comment il faut chanter français. Préférable à Franck Ferrari, toujours engorgé et manquant du coup du mordant noir des trois méchants, trop fruste dans les phrasés du Diamant, finissant néanmoins par convaincre grâce à ses dons de comédien et une certaine tenue vocale, décidément meilleur en Miracle. Comme lui, comme le Luther et surtout le Crespel exemplaires d’Alain Vernhes, Ekaterina Gubanova figurait déjà dans la reprise de 2007, plus à son aise ici dans son Niklausse, bien qu’on la trouve encore trop proche du grand opéra. Laura Aikin assure les vocalises d’Olympia, malgré ce suraigu un peu dur remarqué dans sa Lulu lyonnaise, sans toutefois aller au-delà de la mécanique vocale de la poupée, ne pouvant faire oublier l’impayable Natalie Dessay. Voix homogène et fruitée Inva Mula, en revanche, est très belle de ligne et de style, mieux adaptée à Antonia qu’aux tensions de Mireille. Evidemment plus précise dans l’articulation que Béatrice Uria-Monzon, dont le falcon a néanmoins toutes les séductions de la courtisane vénitienne, malheureusement peu gâtée par le choix, pour cet acte, de la version Choudens. On s’en voudrait, parmi des seconds rôles parfaits, d’oublier Léonard Pezzino, qui dose ses comiques avec une justesse jamais niaise qu’on ne trouve pas chez tout le monde. Et les chœurs ici montrent ce dont ils sont capables.
Certaines productions finiront au grenier. Celle-là, à coup sûr, est digne du musée.
Didier van Moere
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