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Un rappel pertinent Paris Théâtre des Champs-Elysées 05/06/2010 - Ludwig van Beethoven : Sonate n° 3, opus 69
Olivier Greif : Sonate de Requiem, opus 283
César Franck : Sonate en la majeur
Henri Demarquette (violoncelle), Giovanni Bellucci (piano)
H. Demarquette (© Jean-Philippe Raibaud)
Parmi les violoncellistes issus de la très riche école française, il y a bien sûr Marc Coppey (né en 1969) et Jean-Guihen Queyras (né en 1967), mais dans cette génération de désormais «quadras», il faut également compter avec Henri Demarquette (né en 1970): un rappel dont son récital avec Giovanni Bellucci (né en 1965) au Théâtre des Champs-Elysées démontre toute la pertinence. Et tant pis si le programme de salle, écrivant systématiquement son prénom «Henry», s’est ainsi attaché à l’angliciser ou à l’archaïser...
Les premières minutes laissent cependant percer quelques inquiétudes: le violoncelle peine à s’affirmer, entre intonation incertaine et manque de puissance, résultant sans doute aussi d’un piano au couvercle largement ouvert et animé par un Bellucci volontiers fantasque, comme à son habitude, nullement décidé à se cantonner à un rôle d’accompagnateur. Ensuite, la Troisième sonate (1808) de Beethoven se cale sur ses rails, mais pas pour emprunter une voie routinière: riche en contrastes, tour à tour combative et fantomatique, elle bénéficie d’un violoncelle versatile à souhait.
Une qualité qui trouve encore davantage à s’employer dans la Sonate de Requiem (1979/1992) d’Olivier Greif (1950-2000): défenseur de la musique du compositeur français, disparu aussi soudainement que prématurément voici presque exactement dix ans, Demarquette vient de faire paraître chez Accord un disque associant le Concerto «Durch Adams Fall» à cette Sonate. D’un seul tenant et d’une durée de 27 minutes – créée par Frédéric Lodéon, la première version atteignait 50 minutes – l’œuvre évoque successivement trois étapes d’un processus funèbre (perte, voyage, contemplation). Le public écoute dans un silence qu’on pourra difficilement qualifier autrement que de «religieux» ce mélange de citations les plus diverses et de tournoiements les plus sombres, qui n’est pas sans évoquer Chostakovitch ou Schnittke.
La Sonate en la majeur (1886) de Franck demeure très prisée des violoncellistes, car son arrangement les met autant en valeur que les violonistes dans sa version originale. Enchaînant les mouvements quasi attaca, les musiciens en donnent une interprétation d’une seule coulée, vivante et intense, ne se refusant pas aux épanchements – mais sans jamais déraper – dans les mouvements lents et abordant les mouvements vifs dans des tempi très rapides et risqués, notamment le finale, d’une impatience juvénile, bien plus allant que «poco mosso». Entre embardées et sophistication, Bellucci n’a pas son pareil pour débusquer des contrechants dans une partition qu’on croit pourtant connaître par cœur, tandis que Demarquette construit ses phrases comme autant d’arc magnifiquement tendus.
En bis, l’Allegro scherzando de la Sonate (1901) de Rachmaninov, survolté et généreux, n’est pas de nature à calmer ce spectateur enragé qui, au parterre, frappe le parquet avec sa canne. Demarquette s’adresse ensuite à «ceux qui regretteraient la Cinquième sonate [1815] de Beethoven initialement programme», pour en offrir l’Adagio, magnifique moment de musique dont les dernières mesures, faute d’enchaîner sur le mouvement suivant, laissent la conclusion en suspens, comme un point d’interrogation.
Simon Corley
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