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Problème d'équilibre

Paris
Auditorium du Musée d’Orsay
10/16/1997 -  
Franz Schubert - Quartettsatz en ut mineur D. 703
Johannes Brahms - Quatuor op. 51 n° 2 en la mineur
Franz Schubert - Quatuor n°15 en sol majeur D. 887

Quatuor Melos



Le Quatuor Melos, né en 1965, est une formation de grande qualité qui, tant par le disque que par le concert, a beaucoup apporté à l’interprétation en musique de chambre. Il propose ici un programme très beau et très classique. Les deux œuvres de Franz Schubert ne sont plus à défendre et, si le quatuor de Brahms a pu être considéré comme une œuvre mineure du compositeur, il est néanmoins un classique du répertoire de musique de chambre. Le concert n’a pourtant pas l’évidence attendue. En effet, Wilhelm Melcher, premier violon, semble souffrir de problèmes de santé importants qui affectent son jeu de manière significative, tandis qu’ Ida Bieler, violoniste américaine qui remplace depuis 1993 Gerhard Voss au poste de second violon, laisse libre cours à un jeu brillant et très présent. Les partenaires du premier violon semblent en effet avoir choisi de ne pas tenir compte dans leur jeu de son handicap. Il en découle un problème d’équilibre certain, tant sur le plan sonore, ce qui est essentiel, que sur le plan visuel. La place de second violon est la plus ingrate du quatuor : il partage avec l’alto le registre moyen de la composition, registre le moins sonore, mais ne peut que rarement, à la différence du premier, s’en remettre à la particularité de son timbre pour donner à entendre sa voix. Le rapport de force est ici renversé : s’il est heureux d’entendre, ce qui est rare, la fonction du second violon, souvent considéré à tort comme l’ombre du premier violon, il est gênant que celui-ci, contre la logique de l’écriture, prenne le pas sur le premier violon, ici parfois à la limite de l’audible.

Le jeu en vaut pourtant la chandelle. Il ne s’agit pas ici de louer ou de blâmer un musicien qui joue malgré un manque de moyens important. Si, en certains moments cruciaux de la partition, notamment dans le Quatuor n° 2 op. 51 de Johannes Brahms, le manque de présence du premier violon amenait l’œuvre aux limites de l’intelligible, l’exécution du Quatuor Melos est demeurée passionnante par son engagement et sa lecture des œuvres.

Le Quartettsatz en ut mineur D. 703 de Franz Schubert ne put convaincre réellement. La sonorité du quatuor, bien que riche et chaleureuse, n’est pas homogène. Le premier violon n’est pas parvenu à restituer la cohérence du dire musical par une présence structurante qui aurait servi de point de rencontre aux différentes voix. Le discours semblait ainsi éclaté, presque désordonné, mais toujours engagé.

L’exécution du Quatuor n° 2 op. 51 de Johannes Brahms fut en revanche superbe. L’égalité des voix étant plus manifeste dans cette œuvre, celle-ci s’accommode assez bien de la particularisation de chaque voix, qui fournit une lecture très claire de la partition, lecture renforcée par la netteté du style, particulièrement dans l’opposition du legato et du staccato. L’interprétation, bien qu’un peu ampoulée, procédant par vagues un peu trop marquées et abusant du soufflet, créait une temporalité musicale où des instants de suspension aériens rendaient toute son urgence à l’œuvre. En de rares moments néanmoins, notamment lorsque les voix se relaient, de trop importantes ruptures de sonorité brisaient la continuité de l’écriture. La logique harmonique, du fait de la faible intensité du premier violon, à qui sont souvent confiées les notes polarisantes, manquait également d’évidence, mais cette faiblesse permettait de découvrir un Brahms polyphonique et moderne. Les problèmes liés à l’équilibre sonore de la formation se faisaient pourtant oublier, la poésie de l’exécution prenant toujours le pas sur eux.

Le Quatuor n° 15 de Franz Schubert fut également parfaitement joué. L’engagement des musiciens y fut très physique, créant une tension qu’aucun moment de relâche ne venait interrompre. Le mélange de lyrisme et de fureur de l’œuvre fut très bien rendu, les interprètes jouant avec bonheur du passage d’une belle sonorité ronde à une sonorité plus brute, plus matérielle, surtout dans les trémolos, très fréquents dans l’œuvre. Les nuances étaient parfaitement maîtrisées, les passages forte étaient puissants sans être agressifs. La sonorité y fut davantage équilibrée, le second violon se faisant plus discret.

Si les problèmes actuels du Quatuor Melos ne peuvent être passés sous silence, il n’en demeure pas moins qu’ils nous offrent de grands moments de musique, et nous invitent à repenser la structure du quatuor, offrant enfin au second violon une voix propre (Ida Bieler émerveille par la musicalité de son jeu et le bonheur de jouer qu’elle communique à son auditoire) qui, jointe à l’alto, ici léger mais bien timbré, constitue un médium qui n’est plus seulement la jonction entre le premier violon et le violoncelle (ici présent sans être écrasant, ce qui prévenait la sonorité d’ensemble d’un excès de graves). Le Quatuor Melos nous rappelle ainsi jusque dans sa sonorité la plus matérielle qu’un quatuor ne s’écrit pas pour violon soliste et accompagnement, mais bien pour quatre instruments solistes.


Gaëlle Plasseraud.

 

 

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