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L'art du programme

Paris
Théâtre du Châtelet
09/28/1997 -  
Claude Debussy : La Mer
György Ligeti : Double concerto pour flûte et hautbois, Mysteries of the Macabre
Igor Stravinsky : Petrouchka

Lundi 29 septembre
Claude Debussy : Images n°2 (Iberia)
György Ligeti : Concerto pour piano
Maurice Ravel : Schéhérazade
György Ligeti : Melodien
Maurice Ravel : La Valse

Sybille Elhert (soprano), Markella Hatziano (mezzo-soprano), Emmanuel Pahud (flûte), Heinz Holliger (hautbois), Roland Pöntinen (piano)
Philharmonia Orchestra, Esa-Pekka Salonen (direction)

Depuis l'an passé, la programmation des concerts du Cycle Ligeti donnés au Théâtre du Châtelet par Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra donne à réfléchir. La question est la suivante : qu'est-ce qui rapproche les œuvres du programme ? Que nous apprennent-elles sur Ligeti, et que nous apprend, en retour, Ligeti sur elles ?
Les deux concerts donnés les 28 et 29 septembre définissent deux tendances liant les pôles (sa)voir-entendre. Pour certaines pièces, l'influence ou le rapport est audible (aussi bien que visible sur la partition) ; pour d'autres, il est visible (on sait qu'il existe) sans qu'il soit évident à l'audition. Evidemment, en concert, les œuvres ne se confrontent pas comme sur partition, ni même comme au disque. Quand un même chef joue, lors du même concert, un programme qu'il a lui-même choisi, l'interprétation vient s'y mêler. On sait que les programmes sont en partie constitués pour des raisons purement matérielles (les effectifs instrumentaux). Ils le sont aussi parfois pour des raisons didactiques, ou cinématographiques, parce que le chef a envie de faire des rapprochements, de souligner certains aspects évidemment communs, - soit l'intertextualité aurait-on dit dans les années 60-70. C'est sans doute ce que Salonen avait envie de faire.
Au programme, Ligeti était entouré de Debussy, Ravel, et Stravinsky. On sait que Ligeti a progressivement fait de Debussy sa grande figure tutélaire, attiré par l'originalité de ses formes statiques irisées, comme dans La Mer, ainsi que par sa manière non folklorique de traduire ses influences exotiques (espagnoles, mais surtout dans la musique de Java et de Bali). Sans doute ce second aspect est-il également valable pour Ravel - dont les deux œuvres choisies dans le concert font d'une part référence à ces influences exotiques (Schéhérazade), et d'autre part à la forme originale de La Valse, pas réellement statique, mais quand même toute en volutes. Enfin, de Stravinsky, Ligeti dit avoir appris à écrire de manière idiomatique pour les instruments. On peut ajouter que Ligeti partage souvent son énergie rythmique (comme dans son Concerto pour piano), et que l'aspect " mécaniques " de sa musique, qui le rapproche de Nancarrow, le situe également dans la proximité du pantin Petrouchka. Sur le papier, on peut justifier les rapprochements. C'est comme ça (mais cela aurait pu être autrement sans qu'il n'y ait aucune raison de se plaindre).
Qu'en était-il sur la scène ? Le rapport entre les œuvres était franchement audible lors du premier concert, mais beaucoup moins lors du second - bien qu'il leur restât toujours ce petit dénominateur commun d'être dirigées par Salonen, à des tempi dans l'ensemble plutôt vifs, et avec une grande énergie rythmique, avec un total engagement (si l'expression a un sens). L'interprétation de Salonen fut déterminante pour la constitution des deux premiers blocs : La Mer et le Double Concerto, Mysteries et Petrouchka. L'interprétation de La Mer fut notamment d'une grande originalité : violente, parfois sèche, très directe, en tout cas sans lyrisme, très analytique aussi, et souvent éclairée au néon. En choisissant une approche assez rythmique, avec un spectre dynamique décalé (des forte éclatants mais très peu de nuances vraiment piano), en refusant tout mystère, Salonen ne semblait concentré que sur la forme de l'œuvre : on a rarement eu une aussi grande impression de désarticulation, de morceaux disjoints mal emboîtés, et l'impression de faire du surplace. Bien que cohérente et très bien menée (il s'agit ici moins de critiquer que de décrire), on pouvait se perdre dans les détails de cette construction, ne plus voir comment elle finit quand même par former (ou donner l'impression d'un tout). L'interprétation avait en tout cas l'intérêt, volontaire ou involontaire, de faire ressortir le rapprochement formel avec le Double Concerto, et notamment avec son premier mouvement, lent et brumeux, lui aussi statique et en transformation continue, avec ses hauteurs flottantes, et sa manière de produire la double sensation de consonance et de dissonance. Il donnait toutefois l'impression d'une plus grande densité de texture que La Mer, qui semblait pleine de trous ou de vides dans l'interprétation de Salonen. Le second mouvement, rapide celui-là, explorait le même principe, mais à grande allure, avec un ostinato en transformation donnant ces rythmes bizarres propres à Ligeti (c'est son aspect mécanique, ou "horloge"). Entre les deux œuvres, la parenté formelle semblait évidente. Ce fut un peu moins vrai lors de la seconde partie. Cette fois, les deux œuvres semblaient avant tout participer d'une même énergie dramatique. Certes, on peut dire que Mysteries traite chaque instrument de manière très singulière pour arriver à cette pétarade, et que Stravinsky est aussi maître en la matière. Mais c'est tout de même la fougue des deux œuvres qui retient. Pour le second concert, on avait un bloc Debussy-Ligeti, puis Ravel-Ligeti-Ravel. L'interprétation d'Iberia fut moins étonnante que celle de La Mer. Le second mouvement atteignit un grand degré de raffinement et de lyrisme. Un effet d'emballement, de joie rythmique, une manière de foncer sans s'arrêter, restait toutefois la marque de Salonen dans les première et troisième partie. Il fit de même dans le Concerto pour piano de Ligeti, une pièce extraordinaire, essentiellement rythmique, et influencée (en idée) par les polyrythmies pygmées (comme Debussy le fut par le gamelan ?). Du fait des influences, on pourrait rattacher Schéhérazade au premier bloc (de même qu'il y avait une certaine parenté entre le second mouvement du Double Concerto et Petrouchka, soit l'aspect mécanique du pantin). Mais sans doute la maîtrise et le raffinement des orchestrations faisait-elle encore plus sens. Car Melodien, en même temps qu'elle est un espèce de leurre (l'impression d'accords sans cesse descendants), a une orchestration très soignée, donnant une impression de densité totale malgré son éparpillement. Salonen fut remarquable dans cette œuvre, d'une souplesse et d'un raffinement sonore. Restait enfin La Valse qui, outre une belle œuvre mettant en valeur un orchestre, est, personne n'en doute, une belle manière de conclure un concert sous les hourras du public.
Un mot des musiciens : ils furent excellents. Emmanuel Pahud et Heinz Holliger avaient la sonorité exceptionnelle (et émouvante) qu'on leur connaît. Sybille Ehlert habitait son rôle avec une conviction sans faille (on la retrouvera dans Le Grand Macabre en février). Il n'y a pas grand chose à dire de Pöntinen, sinon qu'il tenait très bien sa partie. Le seul bémol irait à Markella Hatziano, qui avait une très bonne diction, mais dont le timbre et l'expression n'ont pas toujours séduits (notamment dans Asie, mais peut-être était-ce le trac, ou le temps de m'habituer à sa voix). L'orchestre Philharmonia est toujours aussi remarquable, avec de magnifiques vents, et, que l'on approuve ou non ses choix, Salonen reste un chef tellement intéressant. Vivement la suite !



Stéphan Vincent-Lancrin

 

 

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