About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Boulez et Messiaen, encore et toujours

Paris
Opéra Bastille
04/12/2010 -  
Olivier Messiaen : Chronochromie – Et exspecto resurrectionem mortuorum – Poèmes pour Mi
Melanie Diener (soprano)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Pierre Boulez (direction)


P. Boulez, M. Diener (© Opéra national de Paris/Franck Ferville)


Si sa carrière de chef est un work in progress, s’il s’est attaché à des compositeurs auxquels on ne l’aurait guère associé a priori, tels Bruckner et Janácek hier ou Szymanowski aujourd’hui, Pierre Boulez n’a jamais délaissé son maître Messiaen, dont il a par deux fois gravé certaines œuvres. Pas toutes certes : on se régale toujours de citer ses commentaires lestement vipérins sur la Turangalîla ou les Petites liturgies.


La savante architecture rythmique et sonore de Chronochromie, commandée par le festival de Donaueschingen qui en assura la première en 1960, en revanche, ne pouvait le laisser indifférent. Une des pages orchestrales les moins accessibles du musicien français, malgré les chants d’oiseaux, que l’alerte octogénaire interprète aujourd’hui sans la moindre sécheresse, témoignant de son évolution dans sa manière de concevoir Messiaen. Le caractère abstrait de la partition disparaît sous cette direction d’une clarté et d’une souplesse parfaites, où plans et lignes sont admirablement finis et définis, au-delà desquels le chef, entre l’urgence et le suspens, ouvre des profondeurs ténébreuses, à la fois narratif dans l’agencement des durées et pictural dans la composition des couleurs, rendant toute justice au titre : la partition trouve ainsi son unité là où d’autres succombent à la tentation de l’enchaînement séquentiel. Il est vrai que d’un Orchestre de l’Opéra en état de grâce – on voit mal qui, en France, pourrait jouer ainsi le passage pour cordes solistes - Boulez peut obtenir tout ce qu’il veut, le raffinement des coloris faisant parfois penser à Lutosławski.


Son enregistrement avec l’Orchestre de Cleveland – où figure d’ailleurs Chronochromie – l’a bien montré : Boulez ne conduit plus Et exspecto comme il le faisait, dans les années soixante, à la tête du Domaine musical. Et la vision de l’Apocalpyse, créée à la Sainte-Chapelle en 1965 et destinée à de grands espaces, sonne bien dans la nef de Bastille, permettant d’apprécier de nouveau la qualité des musiciens de l’Opéra. Ici encore, Boulez compose les couleurs, dose parfaitement l’alliage des vents et des percussions, pour construire une fresque sonore impressionnant dès la première partie, où les vents ne sonnent jamais sec, pleine de mystère dans la deuxième, où le raffinement des nuances est inouï et où se prolonge la mélopée du cor anglais de Tristan, très suggestivement secouée par l’effroi dans la troisième. La direction, surtout, échappe au statisme, le chef de théâtre faisant implacablement progresser le rituel – il s’en souviendra dans son Rituel in memoriam Bruno Maderna – jusqu’à la cinquième partie, durant une demi-heure dont on n’éprouve jamais la longueur.


Les Poèmes pour Mi de 1937 reviennent à un Messiaen d’avant-guerre, dont l’érotisme mystique – passons sur le texte, très daté aujourd’hui – baigne dans un impressionnisme luxuriant, plus proche du répertoire habituel de l’orchestre. Boulez n’en élude pas la sensualité, tantôt intimiste tantôt éruptive, ni les frémissements extasiés et les irisations subtiles, montrant avec pertinence ce qui rapproche la partition de Debussy, de Ravel… ou de Szymanowski. Mais il l’inscrit aussi à juste titre dans un grand geste dramatique, ce que devrait faire aussi Melanie Diener. Elle n’en a malheureusement pas les moyens, oubliant que le cycle requiert justement un « grand soprano dramatique » et que la créatrice, Marcelle Bunlet, chantait Brünnhilde. La soprano allemande, pour ne rien dire de son articulation, ne peut compenser par la beauté de son phrasé, son art du legato, son aisance dans les mélismes, l’insuffisance d’une voix trop légère dépassée par l’orchestre et qui fait même craindre pour sa future Sieglinde – Boulez, qui sait comme personne l’art des dosages sonores, n’y peut rien : on entend plutôt des Poèmes sans Mi.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com