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Audace décomplexée

Paris
Salle Pleyel
04/14/2010 -  
Jean Sibelius : Pohjolan tytär, opus 49
Edward Elgar : Concerto pour violoncelle, opus 85
Carl Nielsen : Symphonie n° 5, opus 50, FS 97

Alisa Weilerstein (violoncelle)
Orchestre de Paris, Osmo Vänskä (direction)


A. Weilerstein (© Christian Steiner)


De fortes personnalités plutôt que des vedettes surestimées: à en juger par les dernières semaines, c’est une belle politique que celle de l’Orchestre de Paris, qui a invité successivement Marek Janowski, à deux reprises (voir ici et ici), Herbert Blomstedt (voir ici) et, maintenant, Osmo Vänskä. Issu de l’omniprésente école finlandaise façonnée par Jorma Panula (Salonen, Saraste, Oramo, Olilla, Mälkki, Sakari, Inkinen, Lintu, Franck, ...), le directeur musical de l’Orchestre du Minnesota, aujourd’hui âgé de 57 ans, n’effectue pas une carrière de star, mais il n’en a pas moins enregistré chez Bis l’une des plus passionnantes intégrales Beethoven de la décennie.


Chez Sibelius, les sept Symphonies et Kullervo (qui inaugurera en septembre prochain le mandat de Paavo Järvi à l’Orchestre de Paris) sont entourés d’une multitude de pages orchestrales, d’En Saga à Tapiola. Leur dimension relativement plus modeste ne doit pas inciter à les sous-estimer, notamment La Fille de Pohjola (1906), qualifiée, comme le fut à l’origine la Septième symphonie, de «fantaisie symphonique». La patte de Vänskä se fait d’emblée sentir, imposant une tension constante et déclenchant de puissantes vagues qui rendent justice à cette évocation de personnages surnaturels et de temps immémoriaux.


Dans le Concerto pour violoncelle (1919), ultime grande partition d’Elgar, Alisa Weilerstein ne se complaît pas dans la «morosité» et les «lassitudes» que les notes de programme de Marcel Marnat, une fois de plus exemplaires d’érudition et de finesse, épinglent non sans (im)pertinence. Car même si son archet tend à glisser d’une note à l’autre comme pour tirer l’auditeur par la manche, la violoncelliste américaine (née en 1982, l’année où Vänskä remporta le concours de direction d’orchestre de Besançon) s’épanche avec une vigueur expansive et conquérante: gestes amples et généreux, instrument se projetant remarquablement quoique parfois aussi nasillant, presque pincé, sans parler d’une technique très sûre. En bis, elle choisit Bach, évidemment, avec la Sarabande de sa Troisième suite.


A chef nordique programme nordique? Difficile de sortir de ce cercle vicieux: alors qu’ils devraient être au répertoire des chefs et des orchestres indépendamment de leur nationalité – imagine-t-on Mahler et Chostakovitch monopolisés par les germaniques et les Russes? – certains symphonistes (Vaughan Williams, Martinu, ...) sont tellement peu joués dans la capitale qu’il faut se réjouir de pouvoir les entendre grâce à leurs compatriotes ou voisins. C’est évidemment le cas de Nielsen, particulièrement de sa Cinquième symphonie (1922), sans doute l’une des dix plus importantes du siècle passé, si une telle assertion peut avoir un sens. Or, dans les années récentes, si l’Orchestre de Paris a proposé la Deuxième «Les Quatre tempéraments» et Radio France les Troisième «Espansiva» et Quatrième «L’Inextinguible» – cette dernière voici moins de deux semaines à Pleyel, d’ailleurs à nouveau couplée avec Elgar – il faut remonter à mai 1988 pour retrouver la Cinquième: un concert qui avait marqué les débuts d’Esa-Pekka Salonen à l’Orchestre de Paris et qui s’était ouvert sur... La Fille de Pohjola.


Nielsen semble tracer un pont entre Mahler, dont il approfondit l’usage de la tonalité «évolutive», et Chostakovitch, particulièrement dans cette Cinquième pleine du bruit et de la fureur du siècle. Mais comme chez Sibelius, son cadet de six mois, lui aussi figure centrale de la musique de son pays, la parenté est encore plus profonde avec Beethoven, son propos volontiers conceptuel et ses luttes esthétiques. D’une profonde originalité et d’une grisante liberté, la Cinquième l’est moins par sa forme – très éloignée des schémas classiques – ou même son instrumentation – telle cette caisse claire dominant toute la première partie, six ans avant Boléro de Ravel – que par son langage, d’une audace décomplexée et d’une fausse naïveté qui ne sont pas sans rappeler Ives. Elle est aussi d’une difficulté redoutable, tant pour l’orchestre que pour le chef, qui doit faire ressortir de cette partition en apparence assez éclatée la cohérence organique sous-jacente, fondée sur les conflits de tonalités.


Aucune déception de ce double point de vue: Osmo Vänskä empoigne la matière sonore avec une intensité et une force de conviction hors du commun, qui ne lâchent pas un seul instant l’orchestre et le public, tandis que les musiciens maîtrisent les difficultés d’exécution et déploient une formidable richesse de nuances et de couleurs, dans la force comme dans la subtilité. Une salle plus que convenablement remplie et des applaudissements prolongés saluent l’œuvre et son interprétation. Il reste donc à espérer que l’arrivée d’un directeur musical d’origine estonienne permettra à l’orchestre de poursuivre cette exploration du vaste univers de la symphonie «nordique»: non seulement Sibelius et Nielsen, bien sûr, mais aussi Tubin (dont il a déjà offert la Cinquième la saison dernière), Holmboe, Pettersson et, plus près de nous, Rautavaara et Aho.


Le site d’Alisa Weilerstein
Le site de la Société Carl Nielsen



Simon Corley

 

 

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