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Contrastes tragiques Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 02/04/2010 - et le 5 février* Joseph Martin Kraus : Symphonie « Funèbre » VB 148
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano N° 12 K. 414
Gustav Mahler : Adagio de la Symphonie N° 10
Andreas Haefliger (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Claus Peter Flor (direction) A. Haefliger (© Marco Borggreve)
Invité régulier de l’Orchestre Philharmonique depuis plusieurs années, Claus Peter Flor est toujours très attendu à Strasbourg, tant par le public que par les membres de l’orchestre, qui apprécient de travailler régulièrement sous la direction de ce musicien exigeant, aujourd’hui titulaire du lointain Malaysian Philharmonic à défaut de pouvoir mener la carrière occidentale de premier plan qu’il mériterait.
Ce nouveau concert permet de constater une fois encore tout ce qu’un chef d’envergure peut apporter de décisif au travail d’un orchestre, en particulier au cours d’un Adagio de la 10e Symphonie de Gustav Mahler d’une force et d’une tenue exemplaires. La seconde partie de la soirée est occupée par ce seul mouvement, bref en minutage mais qui dispense une telle somme d’affects qu’en définitive on n’éprouve aucune frustration que le concert s’arrête là, sur l’ultime ponctuation d’un accord ambigu, coloré de discrètes stridences. Au prix d’un engagement physique important mais efficace, Claus Peter Flor parvient à obtenir de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg une sonorité homogène tout au long de cette page étrange, qui alterne des moments d’expressionnisme violent, véritables « cris » à la façon d’Eward Munch, et des pages d’un dénuement total non moins angoissant. Une seconde partie courte mais en définitive plus dense qu’un concert tout entier.
L’idée d’ouvrir le programme par une autre symphonie aux couleurs sombres, de plus d’un siècle antérieure, aurait pu fonctionner si la disparité des moyens expressifs employés avait paru moins béante. Non que la musique de l’allemand Joseph Martin Kraus, contemporain quasi-exact (1756-1792) de Mozart, soit inintéressante, bien au contraire. Mais en l’occurrence le choix de la Symphonie funèbre, œuvre de circonstance écrite probablement à la hâte (elle fut jouée à l’occasion des obsèques de Gustave III, souverain suédois assassiné en 1792 au cours d’un bal masqué), n’apparaît pas vraiment représentatif. Passée la surprise créée par l’opacité d’alliages instrumentaux lugubres, on ne trouve pas toujours une logique bien patente aux développements voire aux récurrences des thèmes principaux, impression que la direction de Claus Peter Flor, qui s’attache davantage à la caractérisation des timbres qu’au suivi du discours, entretient plutôt qu’elle n’essaie de la dissiper. Bref, on s’ennuie un peu au cours de ces mouvements d’inégale durée, parfois longuets. D’autres symphonies de Kraus, parmi la quinzaine qui nous sont restées, devenues plus accessibles grâce aux courage de quelques éditeurs phonographiques friands d’inédits, apparaissent plus intéressantes et accomplies que celle-ci, plus accrocheuse du fait de son caractère théâtralement funèbre et de son contexte historique particulier mais qui tient mal la distance. A cet égard la comparaison avec la Musique funèbre maçonnique K. 477 de Mozart peut aussi servir d’exemple à méditer.
Entre ces deux massifs d’inégale densité, le Concerto pour piano N° 12 K. 414 aurait pu constituer un intéressant champ d’expérimentation, cette oeuvre ménageant çà et là, en dépit de ses allures primesautières, de soudaines échappées vers des espaces plus larges, moments d’inspiration dignes du plus grand Mozart. Hélas, sous les doigts impeccablement recourbés d’Andreas Haefliger (une tenue de mains parfaite, véritable leçon technique) il ne se passe rien, la partie soliste semblant se résumer à une suite de perles alignées sur un fil interminable. Aucun climat, si ce n’est un perpétuel allant de bonne compagnie, peu de nuances, aucune prise d’ampleur dans les phrasés, et en définitive une partie soliste déroutante voire fuyante qui déconcerte l’orchestre, Claus Peter Flor ne pouvant éviter de nombreux décalages et surtout l’impression de devoir gérer un pensum qui n’en finit pas de tirer à la ligne. Quant au bis, soporifique, il n’arrange rien. Même bouclé à la volée, en moins de dix minutes, le sublime Adagio K. 540, mouvement lent d’une ampleur inusitée chez Mozart, paraît trop long pour fonctionner comme bis attractif. Et l’expurger à ce point de son intérêt musical constitue une bien mauvaise action.
Laurent Barthel
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