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La croisière s’amuse

Paris
La Péniche Opéra
02/19/2010 -  et 20 février, 8, 10, 12, 13, 15, 17, 22, 23*, 24, 26, 29, 30 mars (Paris), 1er (Champigny-sur-Marne), 6 (Soisy-sous-Montmorency) avril, 16 octobre (Blandy-lès-Tours) 2010
Mauricio Kagel : Mare Nostrum (Entdeckung, Befriedung und Konversion des Mittelmeerraumes durch einem Stamm aus Amazonien)

Dominique Visse (contre-ténor), Vincent Bouchot (baryton)
Ensemble 2e2m: Pierre-Simon Chevry (flûte), Jean-Marc Liet (hautbois), Didier Aschour/Caroline Delume* (guitare), Marion Lénart (harpe), Alain Huteau (percussion), Ingrid Schoenlaub (violoncelle), Pierre Roullier (direction musicale)
Mireille Larroche (mise en scène), Roland Roure (décor et installation), Danièle Barraud (costumes), Lionel Spycher (lumières)


(© Julien Schwartz)



Un peu oublié ces dernières années, Mauricio Kagel (1931-2008) reviendrait-il au goût du jour? En tout cas, 2e2m apporte cette saison une contribution de poids à la redécouverte du compositeur argentin: outre Le Tribun, Finale et M.M. 51 (en parallèle au Nosferatu de Murnau), l’ensemble dirigé par Pierre Roullier présente, en coproduction avec La Péniche Opéra, l’un des fleurons de son théâtre musical, Mare Nostrum (1975). Si bon nombre des happenings et expériences diverses des années 1970 ont assez mal vieilli, tout en conservant un inimitable parfum de cette époque foisonnante, tel n’est pas le cas de ces 70 minutes, bien typiques de la fantaisie baroque de l’auteur de Rrrrrrr... et de La Passion selon saint Bach.


Le sous-titre de l’œuvre, «Découverte, pacification et conversation de la région méditerranéenne par une tribu d’Amazonie», témoigne d’un esprit de contradiction et d’un pessimisme grinçant typiques de Kagel et annonce on ne peut plus clairement la couleur. L’Histoire se joue en effet à fronts renversés: le colonisateur devient le colonisé, tandis que les envahisseurs américains se livrent à de sanglantes exactions au fur et à mesure de leur itinéraire dans le pourtour méditerranéen, depuis l’Espagne jusqu’au Proche-Orient. Mais dans la tradition du Persan de Montesquieu ou du Huron de Voltaire, les «bons sauvages» de l’ancien monde sont tout aussi férocement épinglés, à commencer par leurs coutumes et autorités religieuses, tel ce pape à la libido envahissante, piaillant des psalmodies latines sur un transat.


Les deux continents sont représentés chacun par un soliste, vêtu de costumes créés par Danièle Barraud. Dominique Visse, en «blanc de travail» parsemé de fermetures éclair pour la plupart ouvertes, incarne tour à tour l’Espagne (éventail ou muleta en main), la France puis Rome (la tiare et les lunettes noires ayant remplacé le bonnet phrygien, après la décapitation au massicot d’une poupée couronnée), la Grèce bucolique (son berger, sa flûte de Pan, ses lauriers), Albion captive des Turcs, puis encore, embouchant un chofar, Israël, et, pour conclure, une Salomé lascive osant le nu intégral: le contre-ténor ne se fait pas prier pour livrer une impayable et savoureuse performance théâtrale et vocale. Vincent Bouchot, son partenaire au sein de l’Ensemble Clément Janequin, visage noirci et peinturluré de rouge, veste taillée dans des doubles rideaux, accent à couper au couteau, tient le rôle du narrateur sud-américain. Le baryton dit plus qu’il ne chante un texte qu’il a lui-même adapté de l’allemand, afin d’en conserver les fautes et approximations cocasses: contant son expédition parmi ceux qu’il désigne tantôt comme les «sauvages blancs», tantôt comme les «exdigènes» ou «indigestes», sorte de croisière sanglante sur ce que les Romains nommaient leur «Mare Nostrum», il quitte son fauteuil club rapiécé pour leur donner d’expéditives «leçons de culture». L’un comme l’autre manient une variété d’instruments, essentiellement des percussions, et ils sont entourés de six musiciens (flûtiste, hautboïste, guitariste, harpiste, percussionniste, violoncelliste): quatre placés à chacun des coins de la scène, deux derrière les rangs du public, côté cour (violoncelle et percussions), des écrans de télévision permettant à la guitariste et à la harpiste, bien que tournant le dos au chef, de suivre ses indications.


Plutôt que de «côté cour», la distinction n’ayant au demeurant guère de sens dans la longueur d’une péniche, il vaudrait mieux parler ici de «côté Proche-Orient»: en effet, le décor conçu par Roland Roure représente au sol une grande carte du bassin méditerranéen. «Bassin» au sens propre, puisqu’il est rempli de quelques centimètres d’eau, quelques plots autorisant son franchissement à pied sec: une mer au-dessus de laquelle plane une mouette attachée au bout d’une canne à pêche et sur laquelle navigue un dérisoire bateau de papier, bientôt jonchée des détritus les plus divers et les moins recyclables qu’y jettent les riverains, peu soucieux de préserver leur environnement naturel. Le plafond est quant à lui recouvert d’une belle toile dont les motifs rappellent Alechinsky.


Dans des lumières de Lionel Spycher évoquant successivement le jour, la nuit ou l’orage, Mireille Larroche, qui prend la peine de présenter brièvement le spectacle au public, signe une mise en scène à la mesure de l’univers de Kagel, à la fois déjantée et didactique, insolente et poétique. Clef de cette réussite, la fusion réalisée par Kagel entre action théâtrale et musique se prolonge dans la direction d’acteurs: aux clichés sonores (guitare et castagnettes pour l’Espagne, mandoline pour l’Italie, ...) répond ainsi le bric-à-brac de figurines et d’objets hétéroclites permettant de caractériser les différents pays par une exploitation éhontée des poncifs touristico-historiques: coquille Saint-Jacques et caravelle, temples antiques à colonnes, chandelier à sept branches, croissant turc, dromadaire, ...


Si l’on se situe donc sans doute au moins autant au théâtre qu’à l’opéra, cela n’empêche pas la partition proprement dite, tirant le meilleur parti d’un effectif instrumental inhabituel, d’offrir des moments forts. Comme souvent, Kagel excelle dans les citations et détournements: ainsi d’une méconnaissable «Marche turque» de Mozart, prélude à une bifurcation imprévue de l’action vers un remake de L’Enlèvement au sérail associant une Constance british à un Osmin amazonien, ou d’une pitoyable «Danse des sept voiles» de Salomé de Strauss, tellement pitoyable, sans doute, que la harpe préfère alors s’intéresser à Jeux d’eau de Ravel. Mais comme l’éclectisme règne en maître, le tragique n’est jamais loin du grotesque, à l’image de cette séquence proche-orientale durant laquelle les écrans de télévision diffusent des images de guerre.


Le site de l’Ensemble 2e2m
Le site de Dominique Visse



Simon Corley

 

 

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