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Communion Lucerne Centre de la culture et des congrès (KKL) 03/19/2010 - Sergei Prokofiev: Suite Scythe, op. 20
Alban Berg: Pièces symphoniques tirées de «Lulu»
Piotr Illitch Tchaikovski: Symphonie no 6 en si mineur, «Pathétique», op. 74
Anna Prohaska (soprano)
Sinfónica de la Juventud Venezolana Simón Bolívar, Claudio Abbado (direction)
A. Prohaska et C. Abbado (© Georg Anderhub)
Image saisissante: 150 jeunes musiciens prennent place sur la scène du KKL de Lucerne, juste assez grande pour les contenir tous. Ils forment la Sinfónica de la Juventud Venezolana Simón Bolívar, qui regroupe les meilleurs instrumentistes du «sistema», le réseau vénézuélien d'écoles de musiques et d'orchestres mis en place dans les années 1970 par José Antonio Abreu pour offrir une formation musicale aux enfants défavorisés et les aider à sortir de la misère. Puis apparaît Claudio Abbado, souriant, visiblement ravi d'être là. Le chef italien s'est toujours senti en phase avec la relève, preuve en est le nombre impressionnant d'orchestres de jeunes qu'il a contribué à mettre sur pied (European Community Youth Orchestra, Chamber Orchestra of Europe, Gustav Mahler Jugendorchester, Orchestra Mozart, sans parler de l'Orchestre du Festival de Lucerne). Comme s’il puisait son énergie dans le contact avec les jeunes musiciens, qui le lui rendent bien. Car de l'énergie il en faut pour diriger un effectif aussi colossal dans un monument du répertoire symphonique comme la Symphonie Pathétique. Même si on est loin du soyeux et de la précision des meilleures formations mondiales, le résultat est impressionnant, les musiciens réussissant parfaitement à canaliser un élan et une ferveur qu’on sent bien présents, pour ne faire qu'un. De surcroît, l'élégance des gestes du maestro - qui dirige par cœur, comme à son habitude - dégage une impression de douceur et de légèreté: les longues phrases de la partition sont déroulées d’un seul tenant, dans une interprétation qui privilégie l'émotion et l'intériorisation, mais sans lourdeurs, avec des tempi passablement étirés dans les mouvements lents et une certaine retenue dans les pages plus exaltées, loin du clinquant et du rutilant. Les longues minutes de silence qui ont séparé le dernier accord des premiers applaudissements ont prouvé que toute la salle était elle aussi en communion, comme suspendue à la baguette d'Abbado.
La première partie du concert d’ouverture du Festival de Pâques de Lucerne était l’occasion d’entendre l’orchestre dans un répertoire qui n’est pas le sien. Les Pièces symphoniques tirées de l'opéra Lulu étaient particulièrement intéressantes du fait qu’Abbado vient de déclarer dans une interview qu'il rêvait, après Wozzeck, de diriger Lulu à l’opéra, avec Michael Haneke à la mise en scène, dont il a énormément apprécié Le Ruban blanc. Anna Prohaska, membre de la troupe du Deutsche Oper de Berlin, a séduit par sa voix claire et saine mais, à 26 ans, la soprano manque (encore) de personnalité pour rendre toutes les nuances de la femme fatale par excellence. Son «Ach, ich fühl's» de Pamina, donné en bis, a convaincu davantage, par sa grâce touchante. La Suite Scythe de Prokofiev, qui a ouvert la soirée, a constitué une belle entrée en matière, quand bien même on aurait pu souhaiter une exécution avec davantage de relief. Bonne nouvelle tant les apparitions de Claudio Abbado sont rares désormais: le concert a été immortalisé par les caméras d'Arte, pour une diffusion à une date encore à déterminer.
Claudio Poloni
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