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Opéra National du Rhin
03/12/2010 -  et 14, 16, 18*, 20, 22 mars à Strasbourg, 28 (15h), 30 mars à 20 h à Mulhouse (Théâtre de la Sinne)
Jean-Philippe Rameau : Platée
Emiliano Gonzalez-Toro (Platée), Salomé Haller (Thalie, La Folie), Cyril Auvity (Thespis, Mercure), Evgueniy Alexiev (Momus, Citéron), Céline Scheen (L’Amour, Clarine), François Lis (Jupiter), Judith Van Wanroij (Junon), Christophe Gay (Satyre), Ballet de l’Opéra national du Rhin
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors et costumes), Reinhard Traub (lumières ), Joshua Monten (chorégraphie)


E. Gonzalez-Toro, Chœurs de l’Opéra du Rhin (© Alain Kaiser)


Platée fait partie de ces chefs-d’œuvre négligés que l’on peut brûler d'envie de porter à la scène, en oubliant au passage pourquoi ils sont si rarement visibles : parce qu’avant d’être banalement méconnus ils sont surtout difficiles à réaliser. Un abord ardu que la spontanéité de la production parisienne de Laurent Pelly avait fait oublier, mais sur lequel l’équipe scénique menée à Strasbourg par Mariame Clément s’est cassé quelques dents. Abusant de l’argument éculé (mais hélas recevable) présumant que l’inculture d’un public actuel lui rendrait indéchiffrable une soirée où pullulent les allusions mythologiques, la production de l’Opéra du Rhin remplace Bacchus, Apollon, Daphné, Satyres, Ménades et autres silhouettes de ce «ballet bouffon» par une imagerie radicalement différente, celle des années d’après-guerre américanisées du siècle dernier, minutieusement reconstituées : invasion de gadgets ménagers, profusion de robes à fleurs, télévision déjà intrusive, vie sociale à la fois insouciante et remarquablement stéréotypée quant à ses modes de comportement quotidien… L’essentiel du comique du spectacle se concentre là, sur une série de carambolages entre une situation précise et un objet décalé : le personnage de l’Amour sortant d’un congélateur mural, l’ambassade de Momus en compagnie d’un orchestre mexicain, les fausses noces de Jupiter et Platée dans un coffee shop, etc. Un concept à la fois habile et simpliste, qui rappelle l’esthétique imposée naguère pendant quinze ans à Munich par le metteur en scène américain David Alden, assaisonnant tout ce qui pouvait lui tomber sous la main, du Couronnement de Poppée à Siegfried, d’une dose variable de cartoons et de coca-cola. Accordons toutefois à Mariame Clément et à son équipe de nous faire ingurgiter leur cocktail coloré avec un certain doigté, à la française, en limitant le risque d’indigestion : on s’amuse souvent, parfois on rit franchement, et surtout on oublie de s’ennuyer au fil d’une kyrielle de tambourins, musettes, menuets et passe-pieds dont l’accumulation n’est pas le moindre des marais dans lesquels Platée risque de s’enliser.


L’ensemble du plateau s’est engagé à fond dans ce projet, et si parfois la démonstration tourne à vide ce n’est pas par manque de sincérité ni d’implication. Les chœurs de l’Opéra du Rhin (ou du moins les titulaires que l’on a gardés, après un casting apparemment sélectif) s’amusent beaucoup dans le Prologue, pince-fesse guindé façon Mon Oncle qui dégénère vers l’agitation turbulente de Grease, l’irruption virtuose du Ballet du Rhin aidant la sauce à prendre sur le plan physique. Tout ce premier tableau, qui culmine sur la scène de ménage croquignolette entre Jupiter et Junon, concentre les meilleurs moments de la soirée, les actes suivants, et en particulier ce qui devrait constituer le coeur du propos, étant laissés davantage en friche. Ni en batracien anthropomorphe que l’on vient taquiner au fond de son aquarium, ni en pseudo sex-symbol blond et rose bonbon ensuite, le personnage de Platée n’est réellement approfondi. Et celui de La Folie, allégorie télévisuelle qui dégaine à volonté paquets de lessive, robots à tout faire et tupperware mirifiques, paraît sous-exploité en regard de son potentiel délirant réel. Bref, de tableaux dansés trop longs en confrontations chantées qui tournent court, la soirée se délite à petit bouillon, et ce ne sont pas ici l’irruption d’une statue de la liberté au couvre-chef de guingois ou là d’une caricature de ballet nautique hollywoodien qui pourront sauver la mise.


Reste donc la musique de Rameau, admirablement servie par les Talens Lyriques de Christophe Rousset, dont la lecture fait ressortir le moindre détail d’une partition intensément riche. Une performance qui contraste cruellement avec le naufrage d’Emmanuelle Haïm dans la même fosse en 2005, pour des Boréades flasques de triste mémoire. Ici tout scintille et respire, au point parfois de faire parvenir aux centres auditifs trop d’informations à la fois, le tri s’effectuant difficilement. Distribution jeune, d’une belle uniformité de style, où seul Evgueniy Alexiev, saine et belle voix, dérange par un accent exotique, mais qui n’affecte pas la clarté de sa diction. En tête de palmarès l’agréable Cyril Auvity en Mercure/Thespis, le sobre Jupiter de François Lis et la jolie performance d’Emiliano Gonzalez Toro, Platée qui parvient à faire oublier les multiples difficultés techniques de son rôle. Dans le personnage clé de La Folie Salomé Haller fait bonne figure, en dépit d’un extrême grave seulement virtuel et d’un relatif déficit en présence, imputable surtout à la scénographie. Somme toute les meubles, fussent-ils visuellement discutables, sont sauvés. Pour le reste… Rameau, Bacchus et Apollon se débrouilleront toujours !



Laurent Barthel

 

 

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