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Le Triomphe de l’amour: encore Madrid Teatro Real 03/17/2010 - et 18, 19, 20, 22, 24, 25, 26 mars 2010 Vicente Martín y Soler: L’Arbore di Diana Lyubov Petrova (Diana), Marina Comparato (Amore), Ainhoa Garmendia (Britomarte), Marisa Martins (Clizia), Jossie Pérez (Cloe), Pavol Breslik (Silvio), Dmitri Korchak (Endimione), Simón Orfila (Doristo)
Orchestre et Chœur du Teatro Real, Ottavio Dantone (direction musicale)
Rifail Ajdarpasic & Ariane Unfried (décors), Louis Désiré (costumes), Bruno Poet (lumières), Peter Burian (chef du chœur), Francisco Negrín (mise en scène)
(© Javier del Real)
L’Arbore di Diana est un opéra créé en 1787 au Burgtheater de Vienne, en présence de l'Empereur, en une fin d’Ancien Régime, alors que personne ne pouvait savoir ce qui grondait déjà de l’autre côté de la frontière. Le librettiste Lorenzo Da Ponte a écrit des pièces pour l’Autrichien Mozart, pour l’Italien Salieri, pour l’Espagnol de Valence Vicente Martín y Soler. Pour celui-ci: Il Burbero di buon cuore, Una cosa rara et L’Arbore di Diana. Pendant son dernier dîner, les musiciens qui amusent Don Giovanni lui rappellent un air du deuxième titre:« Bravi, Cosa rara!»
L’Arbore di Diana est un petit joyau, un bel opéra, la musique est agréable, élégante, d’un classicisme équilibré entre le bouffe dominant et l’opera seria dans quelques situations (surtout, dans la plupart du discours de la déesse Diane). Le thème est très courant pendant tout le XVIIIe siècle: le triomphe de l’amour. L’opéra français traite souvent le thème, Rameau en particulier et tardivement. Mais Martín y Soler, avec Da Ponte, sont encore plus tardifs. On peut aller plus loin en arrière: Il Ballo delle Ingrate (1609) était déjà une pièce théâtrale semi-opératique de Monteverdi où les femmes qui avaient refusé d’aimer étaient sévèrement punies. Les pauvres. Dans son ballet Anacréon, inclus dans l’opéra Les Surprises de l’amour, Rameau propose un accord, un compromis entre l’Amour et les pulsions dionysiaques (pour parler en termes «modernes»). Le Siècle d’Or espagnol traite la mythologie, l’histoire et la légende de l’Age Ancien comme un compromis entre le sens du mythe et la foi chrétienne dans sa version scolastique (Calderón, surtout). Mais pendant le XVIIIe siècle l’opera seria et le dramma giocoso utilisent le mythe sans en croire un mot, ni prendre au sérieux le sens caché des choses. C'est ainsi qu’on peut faire un éloge de la tolérance à l’époque de l’Empereur Joseph II en mettant en scène la conversion de la déesse de la chasteté, l’éternelle ennemie de Venus, qui devient la plus amoureuse des femmes (une femme, pas une déesse). À l’époque, cet opéra a connu un succès incontestable. Aujourd’hui, on le reçoit avec un mélange de plaisir et de condescendance. Un joyau, certainement, sans toutefois en exagérer l'importance.
Le tout est amusant, et raconté avec une musique qui n’aime pas trop les grands airs, exception faite des airs de bravoure ou des airs lyriques de Diane, le rôle le plus beau, pour une soprano du calibre de la Reine de la nuit. On trouve de très beaux ensembles, et l’Amour est ici confié à un soprano lyrique qui n’a jamais de moments d’éclat, mais qui est le personnage conduisant l’action et dirigeant tout, un peu comme Don Alfonso dans Così fan tutte, également un livret de Da Ponte. Les nymphes et les bergers complètent une petite distribution, huit chanteurs et chanteuses en tout.
La distribution est d’un très bon niveau. La soprano russe Lyubov Petrova (qui a chanté la Reine de la nuit) passe des vocalises aux graves sans difficulté, avec un grand sens musical et de la puissance vocale. Formidable, l’Italienne Marina Comparato dans le rôle de l’Amour, une voix un peu enfant, un peu éthérée, très adéquate pour le dieu-déesse tendre et tout-puissant; dommage pour ses costumes qui sont entre la soubrette et le costume régional: ce qui ternit la plupart de son charme. C’est un dieu, ou une déesse, voyons ! Très bien, le trio masculin: Breslik, Mc Veigh et surtout Dmitri Korchak, ainsi que les nymphes, Garmendia, Martins, Jossie Pérez. Une belle mise en scène, pas trop compliquée, pas trop agile non plus, basée sur un décor qui n’est pas un jardin, mais une espèce de boite dont les fenêtres, les balcons, les caves s’ouvrent et se ferment dans des lignes jamais droites, toujours courbes. Une définition originale de l’espace de l’action. Des costumes parfois beaux, parfois gênants, mais imaginatifs quand même, tout comme l’espace scénique. Une direction musicale à la hauteur: agile, très souvent; lourde parfois, virtuose, tout comme l’ensemble orchestral. On voit que le Maestro et son orchestre croient pleinement à la cause qu’ils défendent: l’œuvre de Martín y Soler, musicien de vocation autrichienne et russe (il mourut à St. Petersbourg, après la composition de quelques opéras pour une Russie qui n’avait pas encore découvert sa propre école).
En résumé: cette production vaut le déplacement, l'œuvre étant une chose rare, un petit bijou qu’il faut connaître. Et aussi en jouir, au moins pendant les quelques moments qui lui sont consacrés.
Santiago Martín Bermúdez
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