About us / Contact

The Classical Music Network

Salzburg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L'Enchantement au Sérail

Salzburg
Residenzhof
08/25/1997 -  

Lundi 25 août 1997
Residenzhof, Salzbourg.
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Entführung aus dem Serail
Christine Schäfer (Konstanze) ; Malin Hartelius (Blonde) ; Paul Groves (Belmonte) ; Andreas Conrad (Pedrillo) ; Franz Hawlata (Osmin) ; Akram Tillawi (Selim).
Mozarteum Orchester, Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Marc Minkowski (direction).
François Abou Salem (mise en scène), Akram Tillawi (chorégraphie), Francine Gaspar (décors et costumes), Joël Hourbeigt (lumières).

Mercredi 27 août 1997

Kleines Festspielhaus, Salzbourg.
Wolfgang Amadeus Mozart : La Clemenza di Tito
Jerry Hadley (Tito) ; Patricia Schuman (Vitellia) ; Dorothea Röschmann (Servilia) ; Vesselina Kasarova (Sesto) ; Debora Beronesi (Annio) ; Lorenzo Regazzo (Publio).
Camerata Academica Salzburg, Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Gustav Kuhn (direction).
Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène, décors et costumes).
 
Il est des réussites qui tiennent du miracle. Evénement mozartien du festival 1997, cette nouvelle production de L'Enlèvement au Sérail avait en main les meilleures cartes pour courir à la catastrophe, à commencer par quelques débuts attendus au tournant.
François Abou Salem, ancien du Théâtre du Soleil et militant de la cause palestinienne, semble pour sa première mise en scène à l'opéra vouloir chausser à la fois les bottes d'un Peter Sellars et d'un Peter Brook (revendication d'un engagement politique, plus restructuration de l'oeuvre entrelardée de musiques et de textes arabes traditionnels). Une direction d'acteurs très sage, une scénographie classique et quelques grands machins superflus, tel ce casque bleu inspectant une ligne de barbelés, laissent d'abord craindre que les moyens ne soient guère au niveau de l'ambition. Et pourtant, surprise !
Tout cela marche à merveille, et il n'est jusqu'au message de Selim - je ne vous traiterai pas comme vous m'avez traité - qui ne trouve des correspondances fortuites mais poignantes avec l'actualité tragique du Proche Orient. A qui donc rendre grâce ? A Francine Gaspar, dont les sobres décors s'adaptent idéalement au cadre du Residenzhof, et dont les costumes, déclinant du Maroc à la Turquie les cultures arabes, sont un ravissement pour l'oeil ? Aux figurants et aux danseurs, d'une rare spontanéité ? Ou tout simplement à cet homme de théâtre qui a eu le culot de confronter à son langage et ses racines une musique qu'on leur croyait résolument étrangère, abolissant tout décalage avec une image aussi risquée que celle de la transe des derviches sur le coeur des janissaires ?

A moins qu'il ne s'agisse de Marc Minkowski, qui est parvenu à intégrer avec un naturel étonnant les pièces orientales dans le discours musical, tant au niveau des rapports harmoniques que mélodiques (merveilleux solo de flûte Ney de Kudsi Erguner entre le quintette final et ce même choeur). Composant avec une donnée inhabituelle, le chef français avait aussi la charge délicate de ramener au théâtre lyrique un orchestre du Mozarteum qui s'en était éloigné depuis plusieurs années. D'un handicap potentiel, il a su faire un atout, pliant des sonorités plus brutes que celles d'autres ensembles liés au festival à une conception puissamment dramatique de l'oeuvre. Couleurs âpres, d'ailleurs idéalement en phase avec celle des instruments arabes, véhémence des cuivres et de la percussion, contrastes saisissants enfin dans l'articulation et le tempo, tour à tour précipité ou étiré jusqu'à son point de rupture, disent assez la filiation baroque du chef, et prennent le pas sur le phrasé langoureux de la tradition viennoise. Mais son empreinte la plus personnelle, c'est dans sa relation aux chanteurs que l'inscrit Minkowski. Poussés dans leurs derniers retranchements, ils accomplissent au travers de la musique des personnages dont la mise en scène n'avait que joliment profilé la silhouette.

Christine Schäfer sera ainsi mieux encore que cette présence attendrissante dans son obstination frêle. On craignait que sa voix légère, étroite parfois en virtuosité ne se brûle en Konstanze ; la musicalité et la diction ciselée étaient attendues, moins en revanche l'assurance de la projection, l'autorité des accents, même dans le médium de "Martern". Ce n'est pas le lied, mais bien la grande déclamation tragique qu'elle ose avec Minkowski dans un "Traurigkeit" tendu sur le fil d'étreignants silences. A son intensité expressive et à l'éclat argenté du timbre, les couleurs plus corsées et la sensualité guillerette de Malin Hartelius offrent un contraste rêvé, d'autant que l'instinct musical est comparable et l'aisance vocale plus évidente encore.

Les deux ténors se montrent à la hauteur sans marquer autant la mémoire. Paul Groves a du charme et du panache, mais le souffle un peu trop court menace la stabilité de l'aigu dans les phrases longues et l'amène à bousculer quelques vocalises, tandis qu'Andreas Conrad est presque trop scrupuleux dans un rôle qui ne permet guère de briller. Franz Hawlata, au contraire, masque ses limites aux deux extrêmes de la tessiture derrière une formidable présence physique et vocale. Cet Osmin marie le comique ravageur (hilarante version aquatique du duo avec Blonde) et les zones d'ombre inquiétantes du poseur de bombes, de l'intégriste qu'on rêve de voir ramené à la raison par Selim. Akram Tillawi, pacha jeune, aristocratique et séduisant, réussit si bien ce miracle à Salzbourg que, pour un peu, on irait supplier Gérard Mortier de nous organiser une reprise à Gaza...

A deux soirs de distance, la reprise au Kleines Festspielhaus d'un des piliers du festival, la Clémence de Titus mise en scène par les Herrmann, suscite un bizarre petit jeu de comparaisons. Voilà un orchestre merveilleux (la Camerata Academica, après Mitridate et Lucio Silla, clôt ainsi un été consacré à l'opéra-seria mozartien), mais Gustav Kuhn, estimable musicien, ne saurait communiquer à ses instrumentistes la flamme d'un Minkowski. Voilà un spectacle-référence, puisque ce Tito dont l'esprit n'a guère varié depuis sa création voici quinze ans à Bruxelles a peu ou prou inspiré l'esthétique de toutes les productions ultérieures (et ce n'est pas Willy Decker à Garnier qui opposera un démenti). Pourtant, la distanciation ironique imposée par la mise en scène incite l'oeil à en traquer les moindres faiblesses, et entame l'indulgence à l'égard de ruptures de ton et d'un jeu de machinerie peut-être moins maîtrisés que dans les plus récentes créations des Herrmann.

Voilà, enfin, une vraie direction d'acteurs, pensée et millimétrée, cependant le plateau joue plus qu'il ne vit, ne trouvant guère dans la fosse de quoi l'enflammer. Hadley, inécoutable, et Regazzo, limité, composent des personnages originaux, Röschmann semble échappée de La Petite Maison dans la Prairie mais sa Servilia onctueuse caresse l'oreille et éclipse un Annio un peu pâle. L'intense présence scénique, le sombre éclat vocal de Patricia Schuman compensent une technique aléatoire, celle de Vesselina Kasarova suscitant une franche perplexité et des sentiments contradictoires. A mille lieues de la perfection musicale et du raffinement expressif d'Anne-Sophie von Otter, la jeune mezzo bulgare incarne un Sesto viscéral aux attitudes d'autiste, brut de timbre, chaotique dans le phrasé, et néanmoins stupéfiant dans son approche du texte musical, variant à l'infini les accents, portant aux limites du souffle de déchirantes nuances piano sublimées par l'acoustique du Kleines Festspielhaus. Une approche dérangeante, presque agressive, qui bouleverse l'agencement si cartésien de la soirée et retrouve cette authenticité à laquelle L'Enlèvement au Sérail nous avait fait goûter. Est-ce à dire qu'une nouvelle manière de donner Mozart au public serait en train de naître, à Salzbourg même ?

Vincent Agrech

 
Salzbourg-sur-Seine :

Ce sont deux français effectuant leurs débuts in loco qui auront cette année obtenu le plus grand succès public et médiatique du festival : Marc Minkowski en dirigeant L'Enlèvement au Sérail, et Nathalie Dessay en interprétant la Reine de la Nuit dans La Flûte Enchantée (les grenoblois et les lyonnais entendront d'ailleurs cet hiver la seconde sous la direction du premier dans Orphée aux Enfers d'Offenbach). Sur les programmes, on relevait aussi pêle-mêle les noms de Philippe Herreweghe (avec l'Orchestre des Champs-Elysées), Sylvain Cambreling, Pierre Boulez, Hubert Soudant, Hélène Perraguin, Paul Meyer, Gérard Caussé, Christophe Coin.
Quant aux deux spectacles - phare de Salzbourg 1997 pour la musique du vingtième siècle, ils n'ont déjà plus de secrets pour les spectateurs parisiens ou n'en auront bientôt plus : Pelléas et Mélisande dans la vision de Bob Wilson arrive du Palais Garnier et y retourne dès l'automne, Le Grand Macabre relu par Peter Sellars débarque au Châtelet en février. Si aucun voyage n'est prévu dans l'immédiat pour L'Enlèvement au Sérail, ARTE le diffuse cependant le 24 septembre avec retransmission simultanée sur France-Musique.


Vincent Agrech

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com