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Savonlinna

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La lumière du Nord

Savonlinna
Château d'Olavinlinna
07/27/1997 -  

Tandis que bien des festivals se demandent comment concilier nouveauté, identité et défense d'un patrimoine, il en est un pour apporter une réponse aussi naturelle que les paysages alentour. En marge des circuits médiatiques internationaux, Savonlinna s'offre le luxe de créations mondiales régulières serties entre le lac, la forêt et le ciel clair de Finlande.


Dimanche 27 juillet 1997
Einojuhani Rautavaara : Aleksis Kivi
Jorma Hynninen (Aleksis Kivi), Eeva-Liisa Saarinen (Charlotte), Riika Hakola (Hilda), Hans Lydman (le jeune Aleksis), Lasse Pöysti (Ahlqvist), Marcus Groth (Runeberg).
Kamariorkesteri Classic Stars, Markus Lehtinen (direction).
Vilppu Kiljunen (mise en scène), Markku Uimonen (scénographie), Juha-Pekka Kiljunen (costumes), Ilkka Paloniemi (lumières).
Retretti Arts Center, Punkaharju.

Vendredi 25 juillet 1997
Wolfgang Amadeus Mozart : Taikahuilu (La Flûte Enchantée)
Anna-Kristiina Kaappola (Reine de la Nuit), Camilla Nylund (Pamina), Tova Aman (Papagena), Johanna Rusanen, Lilli Paasikivi, Laura Nykänen (Dames), Matti Salminen (Sarastro), Jorma Silvasti (Tamino), Petteri Salomaa (Papageno), Tom Krause (Orateur).
Orchestre et Choeurs du Festival de Savonlinna, Ulf Söderblom (direction).
August Everding (mise en scène), Toni Businger (décors et costumes), Kimmo Ruskela (lumières).

Samedi 26 juillet 1997
Mascagni : Cavalleria Rusticana / Leoncavallo : Pagliacci
Malgorzata Walewska (Santuzza), Eeva-Kaarina Vilke (Lucia), Riitta Maija Ahonen (Lola), Kaludi Kaludow (Turiddu), Juha Kotilainen (Alfio) / Karen Parks (Nedda), Jyrki Niskanen (Canio), Jukka Rasilainen (Tonio), Aki Alamikkotervo (Beppe), Brett Polegato (Silvio).
Orchestre et Choeurs du Festival de Savonlinna, Eri Klas (direction).
Kari Heiskanen (mise en scène), Sami Saikkonen (chorégraphie), Markku Hakuri (décors et lumières), Marja Uusitalo (costumes).

Lundi 28 juillet 1997
Aleksandr Borodin : Le Prince Igor
Mikhail Kit (Igor), Galina Gorchakova (Yaroslavna), Larissa Diadkova (Kontchakovna), Yuri Marusin (Vladimir), Sergei Alexashkin (Galitsky), Bulat Minjilkiev (Kontchak), Grigory Karasev (Skula), Nikolai Gassiev (Eroshka).
Orchestres et Choeurs du Théâtre Mariinski, Aleksandr Polianitchko (direction).
Ballet du Théâtre Mariinski, Mikhail Fokin (chorégraphie).
Evgeni Sokovnin, Irkin Gabitov (mise en scène), Nina Tihoniva, Nikolai Melnikov, Vjatsheslav Okunev (décors et costumes).

Château d'Olavinlinna, Savonlinna.




"Welcome to your first subterrannean opera !" ; c'est en effet dans le cadre insolite de l'auditorium de Retretti, aménagé au coeur des grottes qui s'enfoncent sous les moraines glaciaires, qu'est présenté le nouvel opéra d'Einojuhani Rautavaara.
Aleksis Kivi s'inspire de l'existence tragique du premier grand écrivain de langue finnoise, contemporain de Zola et des naturalistes français, qui lutta désespérément pour imposer ses thèmes populaires auprès d'une institution sclérosée et dominée par l'élite suédophone. Comprenant qu'un débat littéraire ne serait pas forcément un sujet très évocateur à l'opéra, Rautavaara a pris soin d'éviter tout intellectualisme bon marché et de privilégier la poésie et l'émotion. Le livret, signé par le compositeur, fait une large part aux textes de Kivi, et adopte une structure dramatique éprouvée mais ingénieuse : flash-back sur la vie de l'écrivain muré dans sa folie au seuil de la mort, et conflit à la Amadeus entre Kivi, génie incompris, et le réactionnaire professeur Ahlqvist qui étouffera systématiquement toutes ses entreprises artistiques, le condamnant à la déchéance.
Par sa richesse et son sens de la synthèse, la musique se situe à la fois dans la filiation de Stravinski et des ultimes opéras de Britten : saisissants jeux de timbres au sein d'un petit ensemble instrumental (cordes en formation de chambre, deux clarinettes, deux percussions), auquel s'ajoute un synthétiseur pour quelques effets bien déterminés, comme les plongées dans l'imaginaire déchiré de l'écrivain au troisième acte ; écriture témoignant d'une grande variété d'expériences, du sérialisme au post-romantisme, même si l'ancrage tonal domine nettement aujourd'hui. Rautavaara sait en outre composer pour la voix, soignant son rapport avec la masse orchestrale, équilibrant aussi de façon très convaincante l'alternance entre parlé et chanté. A ce titre, le travail sur le mélodrame (les monologues parlés du professeur Ahlqvist intégrés au discours instrumental) démontre une profonde originalité dans un genre pourtant délicat à manier. Mais les instants magiques de la partition reposent plutôt sur ses peintures d'atmosphères, telle la forêt du premier acte, havre d'un bonheur éphémère, dont l'écho déformé se retrouvera dans les visions angoissantes qui peuplent l'asile du troisième, ou encore sur les interventions finales de Kivi, confronté dans un bouleversant duo au fantôme de sa jeunesse, puis murmurant avant de s'effacer dans la nuit l'un de ses plus célèbres poèmes, cette chanson de mon coeur déjà mise en musique par Sibelius.

Jouant sur l'étrangeté du lieu, Vilppu Kiljunen propose un spectacle dont le formidable impact doit également beaucoup aux éclairages imaginés par Ilkka Paloniemi. Les parois de la grotte évoquent tour à tour la nature protectrice, l'enfermement dans la cité des hommes et enfin la folie du héros qui semble projeté à l'intérieur même de sa boîte crânienne. La direction d'acteurs tempère un élan naturaliste par le recours à une symbolique simple et lisible, et concentre l'attention sur la joute entre Kivi et Ahlqvist.
Jorma Hynninen, pour lequel le rôle-titre a été taillé sur mesure (voir entretien), s'identifie profondément au personnage de l'écrivain maudit avec lequel il offre de surcroît une troublante ressemblance physique. La voix toujours saine et ronde, l'intense présence dramatique appellent une avalanche de superlatifs. Privé de chant, l'Ahlqvist de Lasse Pöysti est à la fois effrayant de fatuité et humainement juste, évitant toute caricature. Eeva-Liisa Saarinen donne sa silhouette maternelle et son timbre attachant à Charlotte, mécène malheureux comme une Nadejda von Mek qui aurait gardé l'âme d'Ann Trulove, et tous les seconds rôles sont parfaitement tenus, avec une mention spéciale pour un jeune Kivi spontané et séduisant, un Runeberg délirant (l'un des plus grands poètes de son temps, tout de même, ici transformé en vieillard lubrique de la plus belle eau !) et le petit choeur des sept jeunes finlandais, clin d'oeil au maître-livre de Kivi, Les Sept Frères. Markus Lehtinen, qu'on imagine coaché de très près par Rautavaara, n'a peut-être pas le loisir d'offrir du texte musical une lecture très personnelle, mais assure une discipline parfaite à la tête d'un excellent ensemble de chambre, sait doser de beaux effets dynamiques et faire miroiter des couleurs sombres, nostalgiques ou violentes.

Seules interrogations : l'oeuvre séduira-t-elle à ce point si elle vient à être présentée ailleurs, par une équipe qui n'aura été portée ni par la ferveur de la création, ni par le génie de l'endroit ? Et le public étranger acceptera-t-il d'entrer dans les subtilités d'une culture finlandaise mal connue hors de ses frontières ? Même si ses capacités immédiates de suggestion sont très grandes, cette musique est liée à un texte dont il est frustrant de ne pouvoir goûter toutes les richesses, que le surtitrage (d'ailleurs absent à Retretti, où l'anglais aurait été le bienvenu) ne saurait que très imparfaitement rendre. La sortie prochaine d'un disque produit par Ondine permettra sans doute d'en dire plus à ce sujet...


Dans la vaste cour du château d'Olavinlinna, le Festival propose par ailleurs cinq spectacles lyriques répartis sur vingt et une soirées, dont trois productions propres et deux invitations. Créée en 1973, la Zauberflöte (ou plutôt Taikahuilu, la version finnoise apportant comme une saveur nouvelle à l'une des rares oeuvres du répertoire capable de si bien supporter la traduction) signée August Everding et Toni Businger a conservé toute sa fraîcheur naïve et sa drôlerie. L'interprétation musicale regarde franchement vers la tradition germanique de l'immédiat après-guerre, en faisant fi des révisions historiques qui sont aujourd'hui de règle à l'ouest de l'Europe. Une Flûte à la Wagner, ou tout au moins à la Weber, ce qui ne saurait déplaire si l'option est bien défendue. La direction de Ulf Söderblom, déjà à la baguette en 73, craque un peu des articulations et ne brille guère par le délié des phrases, mais possède du souffle à revendre, et la plénitude de pâte de l'Orchestre du Festival est très impressionnante.
Sur scène, des voix larges, arrogantes et riches en métal, d'une parfaite musicalité. Un Monostatos au petit pied et, hélas, une Pamina limitée bien qu'opiniâtre gâchent légèrement la fête. Mais Salminen, dont le grave somptueux paraît inaltérable, est un modèle d'ampleur et de majesté, surtout à ce tempo qui ne met pas trop en difficulté son sens du rythme, et Silvasti campe un Tamino au souffle inépuisable, jonglant adroitement entre voix mixte et registre de poitrine. Salomaa, vocalement plus solide que raffiné, est irrésistible scéniquement, et la Reine de la Nuit lance des contre-fa d'une rondeur et d'une puissance étonnantes, même si le médium est assez petit et le personnage guère terrifiant. Plaisirs rares, un Orateur de luxe (Tom Krause en personne), des prêtres et des hommes d'armes auxquels on confierait sans hésitation ailleurs les rôles principaux et trois dames superbes, dont la troisième se cache un peu derrière ses camarades mais la première, Johanna Rusanen, aurait bien dû prendre ici même la place de Pamina - parions qu'elle se rattrapera largement à l'avenir dans les plus grandes maisons.

Cavalleria-Paillasse ne suscite pas le même émerveillement, moins par faute de la production (une nouveauté de la saison) que de la distribution. Kari Heiskanen ne fait pas dans la dentelle et tombe souvent dans la vulgarité avec une transposition New Broadway qui sent le réchauffé, mais il se montre aussi très drôle (le spectacle dans Paillasse est digne d'un Zuckers et Abrahams) et mène sur le plateau un travail dont on ne peut qu'admirer le sérieux, transformant les choristes, fort jeunes il est vrai, en danseurs-chanteurs parfaitement convaincus. Eux aussi très investis scéniquement, les solistes démontrent de nouveau la santé du chant finlandais (seule une Nedda américaine s'avérant résolument hors de propos), mais éparpillent de beaux moyens dans des rôles qui ne correspondent ni à leurs tessitures (Mama Lucia !), ni à leur style (tout le monde). Eri Klas paraît d'ailleurs se désintéresser de la question, se contentant de tirer dans les interludes le maximum d'un orchestre décidément splendide.

Pour finir, visite en voisins (Saint-Petersbourg est à trois-cent kilomètres) d'un Mariinski dont le Prince Igor, sensiblement abrégé pour des raisons de commodité, n'a pas besoin de ses toiles peintes pour se sentir chez lui dans la vieille forteresse. Fraîchement débarqués d'avion, chanteurs, musiciens et danseurs se courent après le soir de la Première, mais le professionnalisme de la plus célèbre troupe permanente au monde reprend le dessus. Mikhail Kit est un Igor extraordinaire de sûreté et de noblesse (comparer son médium à celui du malheureux Leiferkus...), et son duo avec le Kontchak abyssal et sonore de Bulat Minjilkiev fait perdre la tête. Gorchakova semble en petite forme, et trahit les mêmes carences techniques qu'avec Tatiana la saison passée à Bastille, mais Yaroslavna demeure l'un de ses meilleurs rôles. Prions pour que cette voix si prometteuse ne se soit pas prématurément usée... Belle Kontchakovna de Diadkova et excellents rôles comiques, Galitzky médiocre d'Alexashkin et Vladimir ignoble de Marusin, mais ça, ce n'est plus une surprise pour personne.
Dans la fosse, Aleksandr Polianitchko observe un respect scrupuleux de l'orthodoxie gergievienne, avec moins de savoir-faire technique mais une approche peut-être plus vivante du tempo. Le riche fondement grave des cordes, l'éclat sombre des cuivres résonnent comme la signature unique de l'orchestre du Mariinski. Pouvoir admirer avec le même enthousiasme les reflets d'argent de l'Orchestre du Festival de Savonlinna et les ressources vocales du cru n'est pas la moindre surprise de cette rencontre sur les lacs de Finlande.

Vincent Agrech



Un Festival pas comme les autres :


Savonlinna, c'est quelque chose comme l'union impossible entre Vérone et Glyndebourne. Baignée par l'immense lac du Saimaa, qui serpente entre des milliers d'îlots couverts de bois, la ville représente un poste frontière entre la Finlande du sud, la Carélie sauvage et la Russie, qui est à moins de 50 kilomètres. La proximité du cercle polaire vaut à Savonlinna de bénéficier en été de la clarté de minuit - comme un crépuscule qui enchaînerait directement sur l'aube. Entourée par les eaux, la forteresse d'Olavinlinna fut construite à la fin du quinzième siècle. En découvrant ses hautes murailles, ses tours et, surtout, sa vaste cour centrale, la cantatrice Aino Ackté, finlandaise d'origine mais étoile de l'Opéra de Paris, eut l'idée d'y créer un festival qui servirait à la fois sa gloire et la promotion des jeunes compositeurs du pays. Inaugurée en 1912 et vite interrompue par la guerre, cette première geste lyrique très marquée par la personnalité de son héroïne a laissé des souvenirs profonds. Ce n'est qu'en 1967 que le festival pourra reprendre de manière continue et en 1973 qu'il trouvera sa vitesse de croisière, avec la nomination comme directeur artistique de la célèbre basse Martti Talvela. Son premier réflexe sera de commander à August Everding et Toni Businger une Flûte Enchantée qui aura sur la diffusion de l'opéra en Finlande la même influence que le film de Bergman en Suède.
Depuis lors, Savonlinna a su faire cohabiter le grand répertoire, avec Wagner, Verdi, Moussorgski et Mozart comme hôtes privilégiés, et les oeuvres des musiciens finlandais d'aujourd'hui : une dizaine de créations mondiales en vingt-cinq ans (Sallinen, Kokkonen, Heininen, Rautavaara), reprises sur plusieurs éditions. Les équipes artistiques sont à majorité, sinon exclusivement finlandaise ; jusqu'à l'achèvement, en 1993, de l'Opéra de Helsinki, Savonlinna était la plus importante institution lyrique du pays. Depuis quelques années, des compagnies étrangères sont invitées à clôturer le festival. Après trois visites du Mariinski, ce sera le tour de Covent Garden en 1998 et de... l'Opéra de Lyon en 1999.
Nouveau directeur artistique de la manifestation, Jorma Hynninen s'attache à développer les activités extra-lyriques : master classes et concours pour les jeunes musiciens finlandais, concerts par des artistes invités ou des formations de chambre ad hoc dans des lieux aussi étonnants que les grottes de Retretti ou l'église de Kerimäki, qui serait dit-on le plus grand temple de bois au monde.

Pour ceux qui voudraient taquiner la muse arctique, sachez que la prochaine création mondiale est prévue en 2000, et qu'Aleksis Kivi sera probablement reprogrammé en 1999. A l'affiche 1998, une nouvelle production de La Force du Destin, les reprises de Tannhäusser et Cavalleria-Pagliacci. Le Covent Garden présentera Peter Grimes et I Masnadieri. Comptez dans les 2000 francs aller-retour pour un billet jeunes Paris-Savonlinna et des sommes très légèrement inférieures à celles des villes de festival françaises pour les diverses catégories d'hébergement (du grand luxe à la chambre chez l'habitant), avec par ailleurs des possibilités beaucoup plus étendues pour le logement en auberges et summer hotels. Pensez à réserver le plus longtemps possible à l'avance. Et n'oubliez pas, enfin, que la gastronomie locale est d'une étonnante richesse comparée à celle d'autres régions nordiques...
Renseignements : Savonlinna Oopperajuhlat (réponse assurée en anglais, dépliants disponibles en français pour nos quelques lecteurs non fennophones...), Olavinkatu 27, FIN-57130 Savonlinna. Tel. : 00 358 015 57 67 50.



Comment peut-on être finnois ?
Quatre réponses de Jorma Hynninen :


Le célèbre baryton est connu à l'étranger pour ses incarnations wagnériennes et verdiennes, et de façon plus confidentielle comme interprète des musiciens finlandais contemporains. A Savonlinna, il est aussi la première autorité artistique. Avec la même assurance et la même humilité qui lui font préférer la bicyclette pour se rendre à son bureau le matin. Vous avez souvent croisé Wolfgang Wagner à vélo dans les rues de Bayreuth ?


Depuis Aino Ackté jusqu'à vous-même, en passant par Martti Talvela, la tradition à Savonlinna semble être de confier la direction artistique du festival à l'un de ses interprètes les plus médiatiques. N'est-il pas dangereux de mélanger les genres, et le directeur n'a-t-il pas la tentation de servir le chanteur ?
Jorma Hynninen : C'est avant tout une tradition finlandaise ; nous avons peu de gens formés à la direction de manifestations culturelles, et dans la plupart des festivals du pays, à Kuhmo ou à Naantali par exemple, ce sont des artistes qui donnent l'impulsion. Cependant, l'existence d'une direction administrative et l'encadrement de mon équipe me débarrassent de tout souci de gestion ou de paperasserie. Mon domaine d'activité se limite à l'artistique : trouver des idées, monter un programme et des distributions. Je ne suis donc pas astreint à une présence quotidienne, et si je dois chanter le soir, il est assez rare qu'on me voie au bureau dans la journée ! Quant aux risques de dérive personnelle, ils sont prévenus par un comité artistique qui compte également quelques personnalités marquantes, comme mon ami Matti Salminen. Ce comité m'assiste, mais il est en même temps juge de mon action, après le public.

Cherchez-vous tout de même à donner au festival une coloration qui vous soit propre ?
J. H. : J'espère du moins qu'on le perçoit ainsi, sinon à quoi bon mettre un artiste à la barre ? Je ne tiens pas cependant à être considéré comme " le grand patron ", mais plutôt comme un bon collègue qui sait donner envie à des chanteurs de valeur de venir travailler ici, pour des cachets souvent moindres que ceux qu'ils pourraient obtenir ailleurs. Par le nombre, nous sommes un tout petit peuple, qui a pourtant suscité des talents formidables, et c'est important pour nous de pouvoir nous retrouver et faire quelque chose ensemble. J'essaie de créer ici une atmosphère amicale et heureuse, et de faire partager à tous le même sens de la fierté nationale.

Cette force de l'identité finlandaise, si elle est parfois un atout, ne se retourne-t-elle pas contre vous lorsque vous cherchez à faire connaître à l'étranger les oeuvres créées au festival, qui sont tellement liées à la culture de votre pays ?
J. H. : C'est parfois un problème, et nous nous en sommes rendus compte quand nous avons voulu coproduire nos créations avec des institutions étrangères. Nous n'y sommes jamais parvenus, alors que notre politique de coopération avec d'autres théâtres dans le répertoire traditionnel se développe de façon très satisfaisante. Je crois néanmoins que si une oeuvre est bonne, elle franchit toujours les frontières. Nous avons monté pour le Metropolitan de New York plusieurs reprises d'ouvrages de Kokkonen et Sallinen, toujours avec grand succès. Aleksis Kivi sera peut-être plus difficile à faire connaître compte tenu de l'importance du texte, mais le sujet a une portée universelle... D'autre part, la diffusion internationale n'est pas notre souci premier ; nous voulons d'abord créer des opéras pour le public finlandais. Personne ne le fera pour nous ! Et si des visiteurs étrangers viennent se joindre à nous, c'est peut-être parce qu'ils trouvent à Savonlinna une authenticité qui s'est diluée ailleurs !

D'où vient cette vitalité du chant, et plus largement de la musique en Finlande ?
J. H. : C'est une question qu'on me pose souvent, et il est vraiment très difficile de répondre. Notre système scolaire ne fait pas plus d'efforts que dans les autres pays pour promouvoir la pratique musicale, mais nous avons un excellent réseau de conservatoires et d'écoles partout sur le territoire, qui permet à n'importe qui d'acquérir une très bonne formation. Contrairement à l'Europe du sud, qui est une vieille civilisation, la musique dite classique est toute jeune ici, et il y a un formidable volontarisme, parmi les ensembles de chambre en particulier. Même en Laponie, vous trouverez des petits festivals et des orchestres ! En ce qui concerne les voix, cela vous semblera peut-être un peu naïf, mais je suis persuadé que les qualités spécifiques des nordiques, la fraîcheur du son, le métal, surtout chez les hommes, tiennent à la proximité que nous avons su garder avec la nature, qui nous apporte la paix. Les finlandais sont des gens d'abord réservé, presque timide, qui savent doser leur force et leur énergie. Le chant est l'un de ces moments qui nous permettent de les libérer, et chanter ensemble est aussi une façon de communier. Notre Kalevala est l'une des rares épopées mythologiques où les dieux s'affrontent moins volontiers par les armes que par le chant, alors vous voyez, ça vient de loin...

Propos recueillis par Vincent Agrech.


Vincent Agrech

 

 

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