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Quand l’or ne brille pas

Paris
Opéra Bastille
03/04/2010 -  et 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 mars
Richard Wagner : Das Rheingold
Falk Struckmann*/Egils Silins (Wotan), Samuel Youn (Donner), Marcel Reijans (Froh), Kim Begley (Loge), Iain Paterson (Fasolt), Günther Groissböck (Fafner), Peter Sidhom (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Sophie Koch (Fricka), Ann Petersen (Freia), Qiu Lin Zhang (Erda), Caroline Stein (Woglinde), Daniela Sindram (Wellgunde), Nicole Piccolomini (Flosshilde)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Günter Krämer (mise en scène)


(© Opéra national de Paris/Charles Duprat)


Pas de Tétralogie à l’Opéra depuis 1957 – avec Hans Knappertsbusch. C’est dire combien l’on se réjouissait que Nicolas Joel se soit lancé dans l’aventure – un Ring complet est toujours une aventure – et qu’il l’ait confié à son talentueux directeur musical : un jeune chef, de plus, pouvait renouveler notre approche du « festival scénique », là où un Christian Thielemann, à Bayreuth, se posait d’abord en héritier. Force est de convenir, malheureusement, que cet Or du Rhin nous a déçu. Plus scrupuleux qu’inspiré, Philippe Jordan, s’il débrouille, à la faveur d’une baguette à la fois souple et sûre, l’écheveau complexe de l’orchestre wagnérien, s’il donne à entendre des détails d’instrumentation oubliés, des phrases négligées, ne parvient pas à galvaniser ses musiciens ; il manque d’élan, de souffle, de tension, se tient trop sagement à distance de la partition. Cela s’entend dès le Prélude, désespérément statique. On sent d’ailleurs que les musiciens ne possèdent pas encore cet Or du Rhin, peut-être parce que le chef lui-même n’a pas eu le temps de façonner son orchestre. Gageons qu’au fur et à mesure des représentations, sans attendre La Walkyrie en juin, cette direction trop exclusivement plastique se fera plus théâtrale – les passages les plus réussis, pour l’heure, sont les interludes symphoniques – et prendra la mesure des enjeux de l’épopée wagnérienne, saura concilier l’exactitude de la lecture et la puissance du geste.


Les chanteurs forment une distribution homogène, mais n’offrent rien d’exceptionnel, ni dans la conduite des voix ni dans la caractérisation des personnages, qu’ils ramènent tous à une humanité moyenne. Wotan bien pâlichon, presque absent, quasi Wanderer avant l’heure, Falk Struckmann a perdu son éclat et son mordant, lui qui pouvait hier, à défaut de raffinement, impressionner par son aplomb vocal. Superbe Balstrode à Genève, Peter Sidhom a du mal à passer la rampe de Bastille, surtout au début, trahi du coup dans la volonté d’affiner son gnome, de le chanter plus de l’éructer, plus pauvre type que monstre ténébreux, passant mieux dans la malédiction de l’anneau grâce à un orchestre plus discret. De même, faute de la noirceur nécessaire du timbre, les deux géants, excellents chanteurs au demeurant, ne s’avèrent pas toujours crédibles, surtout le Fafner paterne de Günther Groissböck, pas assez basse profonde – Iain Paterson, superbe de ligne, passe beaucoup mieux en Fasolt transi. Le Mime apeuré de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, en revanche, convainc davantage, de même que le Loge grimé en clown de Kim Begley, sans doute le meilleur de tous, cultivant la dérision cauteleuse sans tomber dans l’histrionisme – Marcel Reijans existe à peine en Froh, mais Samuel Youn a belle allure en Donner. Sophie Koch confirme ses affinités avec le répertoire allemand, Fricka rien moins que mégère, plutôt femme mal aimée et mal aimante, rendue presque fragile par une voix un peu courte pour le rôle. Belle Erda également, au timbre profond surgi des profondeurs, de Qiu Lin Zhang, plus marquante que la Freia passe-partout d’Ann Petersen, ou que les très comme il faut Filles du Rhin – Wellgunde et Flosshilde, cependant, couvrent le filet de voix de Woglinde. Bref, pas de quoi éprouver les frissons de l’épopée.



Si l’ensemble manque de relief, la faute en revient aussi à Günter Krämer. On connaît le goût du metteur en scène allemand pour l’actualisation – sa Juive viennoise, charge inscrite dans l’Autriche tentée par le populisme de Jorg Haider, avait même fait scandale. Cela ne risque pas d’arriver ici : très professionnel dans sa direction d’acteurs, il n’en recycle pas moins des idées bien connues, prenant place parmi les multiples épigones de prédécesseurs beaucoup plus inventifs. Les Filles du Rhin en entraîneuses de cabaret ? On a déjà donné. Le doigt coupé d’Alberich ? On a déjà vu. Les géants syndicalistes en grève brandissant leurs drapeaux rouges et faisant pleuvoir des tracts sur la salle ? On a déjà connu – sans compter que cela nous rappelle également le Don Carlos viennois de Peter Konwitschny. Les lettres composant le mot « Germania » ? David Alden, à Munich, nous avait fait le coup dans son Tannhäuser. Le miroir reflétant la salle et l’orchestre, pour nous dire que nous voyons notre histoire à nous ? On n’en finit plus, à l’Opéra, de contempler son propre reflet. Qui n’a pas adossé son Ring à l’histoire de l’Allemagne, de son capitalisme, avec ses luttes sociales, ses pauvres et ses riches, l’Allemagne des Jeux de 1936 ou celle du miracle économique de l’après-guerre ? Dans le genre, sans remonter à Patrice Chéreau, on préfère de loin le travail de Patrice Caurier et Moshe Leiser à Genève, cent fois plus intéressant. Cette production à la limite de l’ennui, à mi-chemin du réalisme – les nains sont bien des nains - et la science-fiction témoignerait-elle, au fond, d’un essoufflement de la mise en scène wagnérienne ? Elle a certes le mérite de la lisibilité, d’une fidélité illustrative à l’histoire – on comprend bien, à voir ce globe d’or devenu globe terrestre, qu’il s’agit, pour les dieux de l’argent, de dominer le monde. On peut même y aller en famille : c’est assez appuyé pour que les enfants comprennent. Et certains tableaux sont, visuellement, plutôt beaux, grâce à aux éclairages parfois crus de Diego Leetz, comme la première scène, assez heureuse dans ses jeux de noir et de rouge au kitsch assumé, grâceaux mouvements chorégraphiques d’Otto Pichler, qui a impeccablement réglé le ballet des nains asservis et rampants, grâce aux décors de Jürgen Backmann, notamment pour la fin, où la structure métallique figurant le Walhalla, extérieur de stade ou tour de quartier d’affaires, se transforme en escaliers géants. Cela fait son effet, mais sans combler le vide.



Didier van Moere

 

 

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