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Chorégie d'Orange 1997 Orange Amphithéâtre 07/12/1997 -
Une Lucia en demi-teinte, un Tristan glacé par le mistral, et, en
apothéose, une formidable Turandot de référence.
Samedi 12 Juillet
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor
Lucia (Kathleen Cassello), Edgardo (Francisco Araiza), Enrico (Marc Barrard),
Raimondo (Giacomo Prestia)
Orchestre philharmonique de Radio France, Louis Langrée (direction)
Robert Fortune (mise en scène)
Samedi 19 Juillet
Richard Wagner : Tristan et Isolde
Isolde Gabriele Schnaut (isolde), Jane Henschel (brangaene), Ronald Hamilton
(Tristan), Monte Pederson (Kurwenal)
Orchestre philharmonique de Radio France, Marek Janowski (direction)
Version de concert
Samedi 2 Août
Giaccomo Puccini : Turandot
Turandot - Giovanna Casolla (Turandot), Barbara Hendriks (Liu), Vladimir
Galouzine (Calaf), Giacomo Prestia (Timur), Marc Barrard (Ping), Christian
Papis (Pang), Léonard Pezzino (Pong)
Orchestre National du Capitole de Toulouse, Michel Plasson (direction)
Charles Roubaud (mise en scène)
Lundi 4 Août
Récital lyrique
Angela Georghiu
Roberto Alagna
Orchestre National du Capitole de Toulouse, Michel Plasson (direction)
Riche programmation pour l'édition 1997 des incontournables
Chorégies d'Orange.
En effet, en trois semaines nous avons pu assister à deux opéras
en version scénique (Lucia et Turandot), un opéra
en version de concert (Tristan) que complétait un récital
lyrique avec orchestre du couple Georghiu/Alagna.
Ouverture le 12 Juillet avec la production de Lucia, anniversaire
oblige.
Contraste saisissant entre la chaleur de l'accueil public et la nette
insatisfaction ressentie de cette représentation. Insatisfaction
musicale causée par une direction d'orchestre anémique de Louis
Langrée, objet actuellement d'une curieuse surestimation
médiatique.
Ce sympathique chef n'a pas (encore?) la carrure pour sortir une telle
partition de la mièvrerie désuète où elle est
souvent cantonnée.
Impressions contrastées également du côté des voix.
Kathleen Cassello manque pour ce rôle cruellement de force dramatique et
de précision dans les passages de virtuosité. D'autres avant elle
ont, il est vrai, laissé des souvenirs inoubliables (Callas, Anderson).
Problème permanent du mauvais choix des rôles pour les jeunes
artistes.
De l'Edgardo de Francisco Araiza, nous ne dirons rien tant il n'était ce
soir là que l'ombre de lui-même.
Formidable prestation en revanche, pour Giacomo Prestia en Raimondo de grande
allure. Le public lui réserva une belle ovation méritée.
Cette production n'est pas sauvée par une mise en scène bien
conventionnelle de Robert Fortune. Le programme mentionne des décors de
Roberto Platé qui, le plus souvent, ne sont que des projections
d'esquisses qui ont bien du mal à habiller l'illustre mur et qui de
plus nécessitent un système de ventilation fort bruyant qui
gène l'écoute dans les passages piano.
Le 19 juillet, le mistral déchaîné a transformé
l'exécution de concert de Tristan, en véritable
épreuve physique pour tous, chanteurs, musiciens et public, lequel est
ressorti à 3 heures du matin frigorifié.
On comprend mal que les organisateurs n'aient pas eu la sagesse de reporter au
lendemain ce concert, ainsi qu'il est envisagé de le faire, en cas de
mauvais temps, sur programmes et billets.
On le comprend d'autant moins que le plateau était exceptionnel.
Gabriele Schnaut est une Isolde de grand format et Marek Janowski un
très grand chef wagnérien (scandaleusement ignoré par
Bayreuth) qui a laissé, ici à Orange, le souvenir d'un
Ring musicalement inoubliable.
Tous, bravant le froid, se sont acquittés formidablement de leur
tâche. Il faut louer particulièrement les musiciens de l'Orchestre
qui ont, jusqu'au bout, assuré une exécution de haute
volée. Qui dira ensuite que les musiciens d'Orchestre français ne
sont pas professionnels?
Nous devions deux semaines plus tard, le 2 Août, être
récompensés de ces épreuves par une idéale
représentation de Turandot.
Tout est à louer dans cette production : une mise en scène
inventive de Charles Roubaud, réglant impeccablement les mouvements de
foules et ce dans un dispositif scénique sobre et d'une grande
efficacité conçu par Isabelle Partiot. : une immense passerelle
traverse sur toute sa largeur, le plateau où circuleront la princesse,
l'empereur et sa suite. Quelques mètres plus bas, au centre un plateau
tournant pentu qui permettra au fil des scènes des effets toujours en
situation avec le livret.
Les éclairages de Fabrice Kebour sont raffinés. Quelques
scènes sont d'une grande beauté visuelle, telle que l'apparition
de la lune au 1er acte baignée d'une lumière bleutée
vraiment irréelle. Cette mise en scène est peut-être ce que
nous avons vue de mieux en ce lieu, tant elle semble aboutie et
sophistiquée au point que nous oublions que nous ne sommes pas dans un
théâtre.
Il est commun de dire que ce lieu supporte mal ou écrase les
velléités de mise en scène. Quel formidable
démenti. Souhaitons que ces choix esthétiques encouragent la
direction des Chorégies à la poursuite d'une exigence de
qualité scénique tellement payante en ce lieu.
L'exécution musicale fut à ce même niveau d'excellence. La
distribution fut dominée par le couple Turandot/Calaf vraiment
exceptionnel.
La Turandot de Giovanna Casolla est époustouflante. Puissance vocale,
souffle inépuisable, raucité du timbre idéale pour le
rôle. Son entrée au 2ème acte (in Questa Reggia) cloue sur
place les 9000 spectateurs. Face à une telle Turandot, il fallait un
Calaf exceptionnel. Il le fut en la personne de Vladimir Galouzine que nous
découvrions. Bien que souffrant, sa prestation fut admirable de
vaillance et culmina avec un " Nessum dorma " bouleversant.
Les rôles secondaires furent tous à la hauteur de cette splendide
représentation.
La Liu de Barbara Hendriks reste très émouvante,
légèrement desservie, ce soir là, par un manque de
projection.
Giacomo Prestia, fort apprécié dans Lucia, remplaçait
Simon Estes pour le rôle de Timur. Il fut magnifique vocalement et
scéniquement. Excellents aussi les trois ministres de Marc Banard,
Christian Papis et Léonard Pezzino. Pour terminer il faut saluer comme
il le mérite Michel Plasson qui sut animer orchestre, solistes et choeur
sans qu'à aucun moment la tension ne baisse, obtenant de son orchestre
la finesse de timbre et la fougue que requiert la partition luxuriante de
Puccini.
Les choeurs régionaux et de Bilbao, formidablement
préparés, ont été exemplaires. Le public a fait un
triomphe à l'ensemble des protagonistes et spécialement au trio
Cassola, Galouzine, Plasson. Un spectacle d'une telle qualité est la
meilleure réponse possible aux démagogues de tout bord qui
tentent, sans succès, d'utiliser l'enjeu des Chorégies dans leurs
affrontements politiques.
Du récital de Roberto Alagna et d'Angela Georghiu nous dirons que les
belles qualités musicales et vocales de l'un et l'autre sont
annihilées par leur tenue en scène complètement ridicule
qui fait immédiatement penser aux couples d'opérettes de Francis
Lopez. N'y a t-il personne dans leur entourage pour leur ouvrir les yeux ?
L'apparence oubliée (et ce n'est pas facile) nous avons eu quelques
beaux moments de musique marqués par deux temps forts : l'aria de la
Wally et le duo de la Bohème.
Marc Ferré
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