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«Que règne Cléopâtre…»

Paris
Salle Pleyel
02/09/2010 -  et 12, 14* février 2010
Georg Friedrich Händel : Giulio Cesare in Egitto, HWV 17

Cecilia Bartoli (Cleopatra), Andreas Scholl (Giulio Cesare), Nathalie Stutzmann (Cornelia), Philippe Jaroussky/Anna Bonitatibus* (Sesto), Christophe Dumaux (Tolomeo), Rachid Ben Abdeslam (Nireno), Umberto Chiummo (Achilla), Andreas Wolff (Curio)
Les Arts Florissants, William Christie (direction)


C. Bartoli (© Decca/Uli Weber)


En ce dimanche midi, aux abords inhabituellement grouillants de la Salle Pleyel, plusieurs personnes tendent à qui daigne y jeter un œil un écriteau «Cherche une place» mais ce sera naturellement peine perdue... Le concert affiche complet depuis longtemps! Les billets des deux premières représentations étaient partis en quelques jours au point qu’une troisième fut programmée dans l’urgence, avec le même succès. Il faut dire que l’affiche ne pouvait être plus brillante avec, en tête d’affiche, quelques chanteurs parmi les plus charismatiques et les plus appréciés de la scène lyrique baroque au premier rang desquels Cecilia Bartoli, dont le nom seul suffit à emplir les salles du monde entier.


En outre, le programme donnait à entendre un des plus beaux opéras composés par Georg Friedrich Händel (1685-1759). Adulé par le public qui avait fait un véritable triomphe à ses derniers ouvrages lyriques (Radamisto, Ottone et Flavio), Händel se lance en 1723 dans l’aventure amoureuse que vécurent Jules César et Cléopâtre, sur la base d’un livret originel de Bassani revu par son fidèle ami Nicola Haym. Comme souvent chez Händel, la dimension politique disparaît pour laisser davantage place aux seules intrigues amoureuses. Ainsi, après la victoire de Pharsale remportée en 48 avant Jésus-Christ par César sur son éternel rival Pompée, le roi d’Egypte Ptolémée fait assassiner ce dernier (qui s’était réfugié à Alexandrie) pour plaire au maître de Rome. Dans le même temps, il fait enfermer Cornelia (épouse endeuillée) dont il tombe amoureux tout en la promettant à son lieutenant Achille, et le fils de celle-ci, Sextus, qui mûrit le noir désir de venger son père. Fortement choqué par cette barbarie, César, qui est tombé amoureux de Lydie (il s’agit de Cléopâtre déguisée), entre par ailleurs en conflit avec Ptolémée qui, à la surprise de tous, le vainc lors de sanglants combats. Ayant heureusement réchappé de la défaite, César, rejoint par Cléopâtre et Achille (qui ne s’allie aux conjurés que pour mieux se venger de son ancien maître qui refuse de lui donner la main de Cornélie), triomphe de Ptolémée qui est finalement assassiné par Sextus. L’opéra se conclut par le triomphe de l’amour et la clémence de César qui voit en Sextus un nouvel ami et allié. Créé au King’s Theater de Londres en février 1724, l’opéra rencontre immédiatement un immense succès, servi lors de sa création par les plus grands chanteurs de l’époque, Francesca Cuzzoni dans le rôle de Cléopâtre, Senesino (Francesco Bernardi) dans celui de Jules César.


Désormais habituée des grands rôles händeliens – notamment Semele, Almirena dans Rinaldo et, donc Cléopâtre, rôle inauguré voilà bientôt cinq ans à Zurich sous la baguette de Marc Minkowski (voir ici) – Cecilia Bartoli brille de mille feux, habillée d’un bustier doré en première partie de concert, d’une toge noire durant la seconde, un bracelet en forme de serpent entourant de façon prémonitoire son bras gauche... Sans pour autant jouer les divas (tout en sachant néanmoins que le public était en grande partie venu pour elle!), elle a logiquement été la grande triomphatrice de ce concert qui a duré près de cinq heures (entracte et applaudissements compris). Il est vrai que Händel a donné à son personnage quelques-uns parmi ses plus beaux airs, qu’il s’agisse du bouleversant «Se pietà di me non senti» à la scène 8 de l’acte II ou du non moins poignant «Piangero la sorte mia», déclamé par une Cléopâtre humiliée et vaincue, redevenue simple femme éplorée. L’étendue de ses vocalises, l’implication qu’elle met dans le moindre murmure ou la moindre note, la facilité déconcertante avec laquelle elle intervient font de chacune de ses arias un moment de pur ravissement. Plus que jamais, on ne peut que proclamer avec elle Que règne Cléopâtre, et qu’autour de mon trône se prosterne le peuple adorateur d’Arabie et de Syrie (récitatif de l’acte I, scène 5) tant ces mots illustrent parfaitement ce que ressentait le public en l’entendant chanter.


Son principal partenaire masculin est également excellent. Si l’on peut regretter une voix à la faible émission, Andreas Scholl manifeste un véritable sens du théâtre, malheureusement contraint par la représentation de l’opéra en version de concert. Scholl incarne pleinement le dictateur romain même s’il privilégie davantage (comme le requiert d’ailleurs le livret) l’homme aux passions amoureuses complexes au conquérant invincible tel qu’on est habitué à le connaître. Certes, il ne manque pas de panache lorsqu’il reproche à Ptolémée, dans une froide colère, d’avoir fait décapiter Pompée, acte barbare et inutile à la fois («Empio, diro, tu sei») mais c’est surtout un homme simple, en proie aux doutes de l’amour, que Händel peint ici. Scholl est ainsi extrêmement touchant dans son aria «Se in fiorito ameno prato» (acte II, scène 2), accompagné avec délectation par le violon solo de Florence Malgoire. En revanche, on ne peut que regretter que son chant ait été à ce point gâché par les multiples anicroches du cor solo dans l’air célèbre «Va tacito e nascosto».




Le public de ce spectacle dominical aurait pu a priori être déçu de voir le rôle de Sextus tenu par Anna Bonitatibus et non, comme lors des deux représentations précédentes, par Philippe Jaroussky. Ce serait lui faire injure que de persévérer dans ce regret: en effet, la mezzo italienne fut excellente de bout en bout, se tirant admirablement des différents airs qui lui étaient dévolus et qui, pour nombre d’entre eux, allient difficultés techniques et extrême rapidité d’exécution («L’angue offeso mai riposa» à la scène 6 de l’acte II ou «La giustizia ha già sull’arco» à la scène 6 de l’acte III). Lorsqu’il le faut, elle réussit tout aussi bien à émouvoir: on ne citera que le superbe passage où Sextus se voit séparé de sa mère Cornelia, peu après avoir appris les conditions du décès de son père (scène 4 de l’acte I). A ce titre, on ne peut passer sous silence la très touchante interprétation donnée par Nathalie Stutzmann: avec douceur et douleur tout à la fois, elle incarne une Cornelia à la fois altière (elle se refuse tant à Achille qu’à Ptolémée au nom des principes supérieurs de la morale et de la vertu) et prévenante à l’égard de son fils qui, le chant le dit à maintes reprises, représente désormais sa seule raison de vivre. Les applaudissements qui concluent ses arias «Priva son d’ogni conforto» (acte I, scène 4) ou «Son nata a lagrimar» (scène 10 du même acte) saluent une merveilleuse chanteuse qui, si elle a indéniablement perdu quelque assurance dans la tenue de sa voix, incarne son personnage avec une grande justesse.


Personnage ô combien antipathique dans cet opéra, Ptolémée fut très bien représenté par Christophe Dumaux, dont le chant ne fut troublé l’espace d’un instant que par une chute sur scène (heureusement sans gravité) au troisième acte. Acteur jusqu’au bout des ongles, Rachid Ben Abdeslam interpréta avec conviction le personnage de Nireno (on saluera tout particulièrement son aria «Chi perde un momento» à la scène 2 de l’acte II), Umberto Chiummo campant pour sa part un bel Achille, veule et ambigu, qui ne retourne sa veste que pour des raisons personnelles et non au nom de conviction politiques profondes.


D’une gestique à la fois ample et précise, William Christie dirige avec maestria un opéra qui requiert un ensemble moins étoffé que dans d’autres ouvrages (on pense à Rinaldo, Rodelinda, Ariodante) mais qui joue peut-être davantage sur les subtilités de l’orchestre, tout spécialement de ses cordes. Veillant constamment au bon équilibre entre les musiciens, il est sans conteste la véritable cheville ouvrière de cette représentation qui, comme on pouvait s’y attendre, suscita une standing ovation dès la dernière note éteinte. On s’attendait a priori à un grand concert: évidemment, ce fut le cas.


Le site de Cecilia Bartoli
Le site d’Andreas Scholl
Le site de Nathalie Stutzmann
Le site d’Anna Bonitatibus
Le site des Arts Florissants



Sébastien Gauthier

 

 

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