Back
Du lied au quatuor Paris Musée d’Orsay 02/16/2010 - Franz Schubert : Suleika I (Ostwind), D. 720 – Suleika II (Westwind), D. 717 – Lied der Mignon I, D. 877/2 – Lied der Mignon III, D. 877/4 – Im Abendrot, D. 799 – Die Götter Griechenlands, D. 677 – Gretchen am Spinnrade, D. 118 – Quatuor n° 13 «Rosamunde», D. 804
Alban Berg : Schliesse mir die Augen beide (versions 1900 et 1925) – Lyrische Suite
Salomé Haller (soprano), Christoph Eschenbach (piano), Quatuor Thymos: Eiichi Chijiiwa, Gabriel Richard (violon), Nicolas Carles (alto), Marie Leclercq (violoncelle)
Le Quatuor Thymos (© Pierre Duterte)
Semaine chargée pour Christoph Eschenbach, qui fêtera le 20 février ses soixante-dix ans: le chef dirige un programme Berlioz le mercredi et le jeudi, puis le pianiste interprète depuis son clavier deux concertos de Mozart le samedi après-midi, avant que le chambriste ne prenne part à une «soirée de gala» donnée en son honneur le samedi soir. Et comme si cela ne suffisait pas, dès le mardi, il est également à l’affiche du dernier des trois concerts que les musiciens de l’Orchestre de Paris proposent dans le cadre du cycle «Paris-Berlin» au musée d’Orsay, reprenant intégralement et élargissant même le programme d’un disque récemment paru chez Calliope (voir ici). Le Quatuor Thymos, constitué en 2003 au sein de l’Orchestre de Paris, est au centre tant du disque que du concert, tous deux fondés sur une idée intéressante: mettre en regard deux grandes œuvres viennoises trouvant chacune l’une de leurs sources d’inspiration dans des lieder de leurs auteurs.
Salomé Haller débute donc par sept lieder de Schubert: association de mélodies jumelles – Suleika I et II (1821), puis deux des trois «Lieder de Mignon» extraits des quatre Chants pour «Wilhelm Meister» (1826) – ou simple plaisir d’une page admirable – Au crépuscule (1824). Les poèmes et leur traduction ont été mis à la disposition du public, mais, une fois n’est pas coutume, les lumières sont laissées en veilleuse de telle sorte qu’il puisse suivre les paroles tout en écoutant la musique. La soprano n’est hélas pas au mieux de sa forme: fragilité de la voix, attaques imprécises, notes peinant à sortir, manque d’homogénéité du timbre et aigus acides. Dommage pour des qualités stylistiques indéniables, qui s’expriment grâce à une impeccable diction allemande et à une bonne mise en valeur des textes; dommage aussi pour l’accompagnement exemplaire d’Eschenbach, juste milieu entre effacement excessif et débordements égocentriques.
Même si le lien est moins frappant qu’entre le Quatorzième quatuor «La Jeune Fille et la Mort» et le lied éponyme, les deux derniers lieder de ce mini-récital évoquent le Treizième quatuor «Rosamonde» (1824), dont seul un thème, varié dans le deuxième mouvement, est issu de la musique de scène qui lui donne son titre. En effet, les premières mesures de son Menuet reprennent celles des Dieux de la Grèce (1819), tandis que le début de l’Allegro ma non troppo rappelle l’atmosphère de Marguerite au rouet (1815), ici fâcheusement chanté (voire parfois crié), en complet contresens, comme un air d’opéra. «Ma non troppo»: le Quatuor Thymos prend malheureusement l’indication au pied de la lettre, tant le propos, étale, prosaïque et dépourvu de tension, peine à décoller, lesté en outre par un manque d’homogénéité et de cohésion, une sonorité terne et des inégalités instrumentales. Dans de telles conditions, les longueurs schubertiennes, certes souvent «divines», peuvent sembler interminables.
Alors que la longue première partie de soirée est théoriquement terminée, les pupitres de violons permutent, Eiichi Chijiiwa, ancien membre fondateur du Quatuor Diotima, passant du second au premier. Puis l’altiste Nicolas Carles, qui a récemment remplacé Marie Poulanges au sein du quatuor, annonce que son père Marc Carles (né en 1933), qui fut lui-même l’altiste du Quatuor de l’ORTF, a écrit une Esquisse pour célébrer l’anniversaire de Christoph Eschenbach. Ces 8 minutes sont fondées sur les notes résultant de la transcription, selon le système allemand, des lettres du nom d’Eschenbach; ce dernier, qui avait rejoint les rangs des spectateurs, remonte sur scène pour recevoir un exemplaire de la partition ainsi qu’un présent remis par Pierre Korzilius, responsable de la programmation musicale de l’auditorium.
Ce procédé de cryptage musical est précisément au centre des techniques compositionnelles développées par Berg, qui en fait par exemple usage dans sa Suite lyrique (1926). Mais le compositeur, comme Schubert, fait appel à des sources de diverses origines. Non seulement sa première grande création dodécaphonique cite la Symphonie lyrique de Zemlinsky – d’où son nom – et Tristan de Wagner, mais elle est par ailleurs construite sur une série qu’il avait employée l’année précédente pour mettre en musique, à l’occasion des vingt ans de l’éditeur Universal, un poème de Theodor Storm (Ferme mes deux yeux), qu’il avait lui-même déjà illustré, dans un style autrement plus straussien, tout juste un quart de siècle plus tôt. A nouveau, Salomé Haller, toujours accompagnée par Eschenbach, alterne le meilleur («version 1900») et le pire («version 1925»).
Si l’on en croit la notice biographique du quatuor, «la notion de Thymos ainsi qu’elle fut développée par les anciens philosophes grecs désigne l’âme (le "cœur") en tant que force vitale, et plus explicitement en tant que le souffle de la vie». La seconde partie du concert lui permet enfin de concrétiser cette belle ambition: lisible et naturelle, d’une expression magnifique, passionnée et rageuse, la Suite lyrique brille de mille feux, dans cette rare édition où, sur une adaptation allemande d’un extrait des Fleurs du mal de Baudelaire («De profundis clamavi»), la voix, à l’instar du Deuxième quatuor de Schönberg, se joint aux cordes dans le Finale.
Simon Corley
|