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On solde Idoménée Paris Palais Garnier 01/20/2010 - et 23*, 26, 29 janvier, 1er, 4, 7, 10, 13 février Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo, Rè di Creta, K. 366 Charles Workman (Idomeneo), Vesselina Kasarova (Idamante), Isabel Bayrakdarian (Ilia), Tamar Iveri (Elettra), Lothar Odinius (Arbace), Xavier Mas (Il gran sacerdote), Nahuel di Pierro (La voce), Claudia Galli, Anna Wall (Due Cretesi), Manuel Nunez Camelino, Vladimir Kapshuk (Due Troiani)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Philippe Hui (direction)
Luc Bondy (mise en scène)
(© Opéra national de Paris/Franck Ferville)
« Le retrait d’Emmanuelle Haïm de la production fait suite au constat réciproque, au terme des premières répétitions, que le temps de travail nécessaire pour faire converger son approche artistique et celle de l’orchestre était incompatible avec les contraintes de programmation de l’Opéra national de Paris » : qu’elle est jolie la langue de bois ! Le meilleur orchestre de France est-il aussi insupportable qu’on le dit, lui qui avait éjecté Daniel Harding au moment de Così fan tutte ? Très à l’aise avec son Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm est-elle dépassée par un grand orchestre, surtout lorsqu’une reprise limite le nombre de répétitions ? Thomas Hengelbrock avait bien, par deux fois, « baroquisé » l’orchestre de l’Opéra pour Idoménée (lire ici et ici), mais il va succéder à Christoph von Dohnányi à la tête de l’Orchestre symphonique de la NDR et dirigera Tannhäuser à Bayreuth… Bref, l’excellent Philippe Hui, appelé à la rescousse, a permis d’assurer les représentations, sans qu’on puisse vraiment juger de son travail. On a surtout deviné la justesse de ses intentions, tant l’orchestre s’est montré, justement, paresseux, approximatif, monochrome, jouant comme des ronds-de-cuir – le chœur n’est guère meilleur. Heureusement, le clavecin de Benoît Hartouin anime les récitatifs. En ces temps de soldes, on nous sert un Idoménée au rabais ; cela dit, avouons que le premier grand seria mozartien, fût-il confié aux plus grands professionnels du monde, ne se met pas en place en quelques séances. La production, d’ailleurs, était marquée par le malheur : Anna Netrebko et Rolando Villazón, qui devaient en faire, avec l’inventive et passionnée Emmanuelle Haïm, un spectacle phare de la saison, ont très tôt déclaré forfait.
Charles Workmann, qui avait remplacé Ramón Vargas au pied levé en 2006, possède son Idoménée, avec un « Fuor del mar » à la virtuosité assumée, toujours royal dans ses déchirements, noble de ligne et de style, moins fragile et moins subtil cependant qu’un Richard Croft à Aix, souffrant de surcroît d’une émission un peu raide et d’un timbre durci. Mais Tamar Iveri constitue finalement avec lui le meilleur élément de la distribution, même si « Idol mio » manque de souplesse et a du mal à planer : le timbre a de la chair et la soprano possède un tempérament qui éclate dans les deux airs de fureur d’Electre, maîtrisés sur toute la tessiture sans rupture de la ligne, en particulier le redoutable « D’Oreste, d’Aiace ». On ne saura jamais si Netrebko et Villazón auraient été meilleurs… Isabel Bayrakdarian, en revanche, ne nous offre qu’une Ilia fort honnête, un peu timide, sans aura. Infiniment supérieure en tout cas à l’impossible Idamante de Vesselina Kasarova, aux registres totalement dessoudés, avec un trou abyssal dans la tessiture, incapable de soutenir la moindre ligne, ne pouvant dissimuler une laborieuse soufflerie, gâchant les ensembles. On a en tout cas soigné les rôles secondaires : Xavier Mas retrouve le Grand Prêtre et Lothar Odinius fait heureusement oublier les Arbace précédents, avec un « Sventurata Sidon » suivi du rare « Se colà n’e fatti è scritto », solides et émus.
Pour la troisième fois au Palais Garnier, la mise en scène de Luc Bondy déçoit, faute de souffle. Certes, le côté lendemain de tsunami se voit réactualisé par les tristes événements d’Haïti, avec ces malheureux errant sur la grève. Mais la production n’est pas plus inspirée pour autant : tout y pèse et s’y fige et l’on a du mal à croire à la souffrance de personnages trop convenus, oscillant entre un univers archaïque et un monde qui pourrait être le nôtre. Cette Crète où le chœur, au troisième acte, semble surgi de La Khovantchina, ne parvient pas à se libérer de ses superstitions, plus proche des sacrifices sanglants de la tragédie grecque et fermée aux Lumières. Une lumière blafarde éclaire d’ailleurs le décor et l’on s’interroge, à la fin d’un troisième acte plus réussi parce que plus vivant, sur le destin du jeune couple royal, bien seul au milieu de la scène : au lieu de triompher dans le chœur de jubilation, la musique s’éteint progressivement, tandis que la mer gronde toujours, lourde d’on ne sait quelles menaces, infidélité volontaire au lieto fine obligé du seria. Belle idée ? peut-être, mais trop peu exploitée.
Didier van Moere
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