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Une moitié de Norma

Paris
Théâtre du Châtelet
01/18/2010 -  Et 20, 22*, 24, 28 janvier
Vincenzo Bellini : Norma
Lina Tetriani (Norma), Paulina Pfeiffer (Adalgisa), Nikolai Schukoff (Pollione), Nicolas Testé (Oroveso), Blandine Staskiewicz (Clotilde), Luciano Botelho (Flavio)
Chœur du Châtelet, Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction)
Peter Mussbach (mise en scène)


(© Marie-Noëlle Robert)


On s’était bien juré, en allant voir la troisième représentation de cette Norma, de ne pas hurler avec les loups de la première. Le premier acte fini, on a vite rejoint la meute. Les savantes – et passionnantes – explications musicologiques de Damien Colas n’ont rien fait pour nous calmer. Va pour des instruments d’époque, des sonorités moins rondes. Va pour un pupitre de contrebasses renforcé. Va pour des tempi plus rapides, sur le modèle des indications métronomiques des Puritains. Va pour quelques passages rétablis afin de restituer la version originale. Mais la musicologie sans la musique, on s’en moque : ce qu’on nous a servi donne envie de reléguer au grenier les bougies de l’authenticité et de revenir au plus vite à l’éclairage électrique des versions révisées.


Jean-Christophe Spinosi, d’abord, sous prétexte d’urgence dramatique, nous inflige un boucan de tous les diables, des ruptures brutales, des sonorités laides, des approximations en tout genre, sans le moindre phrasé belcantiste, terminant le premier acte avec une légèreté sautillante à la Offenbach. Si c’est ça l’authenticité… Quant à la distribution, on se demande bien quelle mouche a piqué Jean-Luc Choplin et ses conseillers, plus inspirés par Broadway. Totalement dépassée, la jeune soprano américano-géorgienne Lina Tetriani ignore le grand récitatif dramatique, chante un « Casta diva » laborieux, aux aigus peu justes, avant de s’empêtrer dans une colorature savonnée pour la cabalette. Une Norma ? Plutôt une Giulietta des Capuleti. Nous ne sommes pourtant pas des nostalgiques d’arrière-garde : nous savons bien que Callas, Sutherland, Caballé, Scotto, c’est fini, et qu’il faut vivre avec son temps. Mais une June Anderson, par exemple, chante Norma. Ici, pas de ligne, pas de couleur, rien. Si la petite Adalgise aux airs de pensionnaire de Paulina Pfeiffer a évidemment moins de difficultés à affronter, si elle possède la voix de soprano qu’appelle un rôle trop longtemps confié à des mezzos verdiens, elle n’en paraît pas moins bien pâle, seulement honnête, rien moins que belcantiste, pas plus brillante dans la colorature – les aigus rajoutés ne changent rien. Pollione ne se confie pas à des ténors trop aigus : de ce point de vue, Nikolai Schukoff ferait l’affaire. Il faut pourtant passer sur l’air d’entrée, où il brutalise la ligne, pousse ses aigus, insulte au chant italien. Les choses s’améliorent ensuite, à la faveur de nuances, de phrasés, d’intentions interprétatives. Plus à l’aise que dans son Masetto genevois, Nicolas Testé campe en revanche un Oroveso assez noble de timbre et de ligne.


La mise en scène ? L’iconoclaste Peter Mussbach nous fait à la fois le coup du bunker et celui de l’asile de fous, meublés d’une lune géante et d’un cheval attribut d’un Pollione deux fois conquérant, comme Romain et comme lover au torse doré – cheval que Norma enfourche avec délices pour chanter sa cabalette nostalgique du plaisir perdu. Il est bien connu qu’un pays occupé, quand il ne s’affranchit pas de superstitions archaïques, sombre dans l’aliénation. La prêtresse engrossée, aux allures de vamp ou de star déchue, y perd la tête : les deux enfants ne sont d’ailleurs que des poupées. Ca n’actualise rien et ça ne renouvelle rien, ça ne bouscule pas, ça ne dérange pas comme, par exemple, la sulfureuse Traviata aixoise, contestable, irritante, mais aboutie. Cela dit, le metteur en scène dirige ses chanteurs en pro : si la musique était là, on passerait outre à ce travail grandiloquent et creux.


On croyait la messe dite : on se trompait. Le second acte surprend agréablement. Le décor bleu baigne dans une jolie lumière – cela dit, la gifle flanquée par Norma au proconsul trop entiché de la novice fait plutôt vaudeville. Le chef, surtout, se reprend et tient désormais ses troupes, théâtral sans être désordonné, ébauchant les phrases de Bellini, trouvant des couleurs, parfois même de la poésie – il réussit assez bien l’introduction de l’acte. A défaut d’éprouver le frisson des grands soirs, on a l’impression d’entendre Norma. Lina Tetriani, qui a pourtant fait annoncer qu’elle était souffrante, construit sa ligne de chant, incarne enfin la prêtresse, en assume à la fois la nostalgie et les fureurs, semble découvrir comment on chante Bellini. Si ce n’est pas mémorable, c’est proprement fait, parfois émouvant. Le duo avec Adalgise, dans sa tonalité originale, passe, malgré des vocalises toujours aussi glissantes. Nikolai Schukoff, confronté à une tessiture moins éprouvante, peut affiner son Pollione. A la fin, le cheval prend feu, le couple est terrassé, la danse des fous – ou la transe des cultes archaïques – continue. On a beaucoup souffert, mais on a eu la moitié de Norma.



Didier van Moere

 

 

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