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Diablotin Paris L’Européen 01/18/2010 - et 16 octobre 2009, 19* janvier 2010 Fritz Kreisler : Præludium et Allegro dans le style de Gaetano Pugnani (arrangement Marc-Olivier Dupin)
Henryk Wieniawski : Légende, opus 17 (arrangement Gilles Rupert)
Tomaso Antonio Vitali : Chaconne en sol mineur (arrangement Marc-Olivier Dupin)
Franz Schubert : Rondo pour violon et cordes, D. 438
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Souvenir d’un lieu cher, opus 42 (arrangement Marc-Olivier Dupin)
Giuseppe Tartini : Sonate opus 1 n° 4 «Il Trillo del diavolo» (arrangement Marc-Olivier Dupin)
Nemanja Radulovic (violon)
Quatuor Illico: Guillaume Fontanarosa, Frédéric Dessus (violon), Bertrand Caussé (alto), Anne Biragnet (violoncelle) – Stanislas Kuchinski (contrebasse)
N. Radulovic (D. R.)
«Les Trilles du diable», ce fut d’abord un projet porté par Nemanja Radulovic accompagné par le Quatuor Illico et le contrebassiste Stanislas Kuchinski, qui ont tourné durant plusieurs saisons dans toute la France. Lors de son passage aux Flâneries musicales de Reims, il a fait l’objet d’un enregistrement public, paru à l’automne dernier chez Decca. Et face au succès rencontré par la soirée du 16 octobre à L’Européen, Nemanja Radulovic a décidé de jouer les «prolongations», en proposant deux nouvelles dates en ce début d’année: affluence à nouveau dans cette salle située non loin de la place Clichy, qui accueille d’ordinaire la chanson française et anglo-saxonne.
Est-ce à dire que Radulovic, associé à cet ensemble polyvalent qui vient lui-même de se produire à L’Européen durant plusieurs semaines dans un spectacle intitulé «Le Magic Orchestra», a décidé, alors qu’il approche de ses vingt-cinq ans, de suivre le chemin de (Nigel) Kennedy ou de Gilles Apap, ou même de Laurent Korcia? Si l’on considère son seul look, la réponse est incontestablement positive: courte veste à basques à la Michael Jackson, grosses chaussures montantes façon Doc. Martens et abondante chevelure. Sinon, mis à part le fait que les musiciens se tiennent tous debout (à l’exception, bien sûr, de la violoncelliste), qu’ils font leur entrée et leur sortie en traversant la salle à vive allure et que la scène est éclairée par des spots colorés produisant des effets brumeux et enfumés, c’est d’un concert on ne peut plus traditionnel qu’il s’agit.
Le public est-il d’ailleurs très différent de celui des lieux traditionnellement dévolus à la musique dite «classique»? On y reconnaît en tout cas le mentor de Radulovic, Patrice Fontanarosa, avec son épouse Marielle Nordmann, dont le fils Guillaume n’est autre que le premier violon d’Illico, aux côtés d’un altiste et d’une violoncelliste portant un autre patronyme célèbre dans le domaine classique, Bertrand et Anne Caussé. Et si les rangs bruissent peut-être légèrement plus qu’à l’habitude entre les morceaux, aucun applaudissement ne vient interrompre la succession des différentes parties de Souvenir d’un lieu cher (1878) de Tchaïkovski.
Même si ce n’était pas nécessairement le but de l’opération face à des spectateurs visiblement conquis d’avance, on peut néanmoins regretter que l’occasion de dépoussiérer l’exercice du concert, souvent jugé trop convenu, n’ait pas été saisie. Alors que le cadre relativement intime de L’Européen aurait autorisé un déroulement plus participatif avec les spectateurs, le violoniste ne prend la parole que pour s’excuser d’avoir dû, en raison de la chaleur, tomber la veste dès le premier morceau: pas un mot sur ses musiciens, ni sur les œuvres, ni même sur les bis, alors que le programme (gratuit) – qui, une fois déplié, peut servir de poster – ne fournit pour sa part aucune information. Dommage, car la légende des «Trilles du diable» – la fameuse Sonate en sol mineur de Tartini (1692-1770), gardée pour la fin – méritait par exemple d’être racontée.
Les autres pièces, si elles sont éminemment violonistiques, ne cultivent pas pour la plupart le ce caractère «diabolique» si facilement associé à l’instrument, de Paganini à l’Histoire du soldat, ni même la pure virtuosité. Et puis Radulovic n’est tout au plus qu’un diablotin ou un farfadet au sourire d’ange. Après un début inquiétant – le diptyque Prélude et Allegro (1910) de Kreisler faussement attribué à Pugnani (1731-1798), où il ne semble ne pas toujours prêter suffisamment attention à la justesse – les choses se remettent heureusement vite d’aplomb, tant dans la Légende (1859) de Wieniawski, que l’une des très rares pages concertantes de Schubert, son Rondo en la majeur (1816), ou dans la Chaconne attribuée à Vitali (1663-1745) et éditée par Ferdinand David (1810-1873). Au fil de ces 75 minutes (sans entracte), Radulovic, accompagné par un quintette à cordes à la fois souple et vivace dans des arrangements presque tous signés Marc-Olivier Dupin, confirme donc ses qualités, mélange de fougue et de charme, d’instinct et de mordant, servis par un charisme ravageur.
Il reste cependant suffisamment de crin à son archet pour qu’il offre trois brefs bis, les deux premiers... endiablés, forcément: le Presto final du Concerto «L’Eté» extrait des Quatre saisons (1725) de Vivaldi et Pasona, un étourdissant kolo serbe dans l’esprit de Hora staccato. Mais le dernier mot revient à Kreisler, avec la séduisante «Schön Rosmarin», dernière des trois Anciennes danses viennoises (1910).
Le site de Nemanja Radulovic
Le site d’Illico
Simon Corley
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