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L’alpha et l’oméga de Mozart Paris Salle Cortot 01/17/2010 - Wolfgang Amadeus Mozart : Variations pour piano à quatre mains, K. 501 – Fantaisies en ut mineur K. 385f [396] et en ré mineur K. 385g [397] (*) – Adagio en si mineur, K. 540 (*) – Larghetto et Allegro pour deux pianos (reconstruction de Paul Badura-Skoda) – Sonate n° 14, K. 457 (#) – Sonate pour deux pianos, K. 375a [448]
Paul Badura-Skoda (#), Jörg Demus (*) (piano)
J. Demus
L’un est né en octobre 1927, l’autre en décembre 1928. Ils ont chacun accompli des carrières remarquablement variées (concertos, musique de chambre, accompagnement de Liedersänger, composition, ...), encore récemment en récital (voir ici et ici). Tous deux Autrichiens, ils partagent une passion pour les instruments anciens et entretiennent également une relation privilégiée avec la France: dès 1949, Paul Badura-Skoda a remporté le troisième grand prix du Concours Long-Thibaud (derrière Ciccolini, Yankoff et Wayenberg, devant Boukoff et Barbizet – quel millésime!); Jörg Demus, quant à lui, fut notamment l’élève d’Yves Nat et vit entre son pays natal et ses résidences poitevine et limousine. Bref, tout était fait pour que, depuis plus d’un demi-siècle, ils s’illustrent régulièrement ensemble en duo, y compris au disque.
C’est à «Autour du piano» et à son directeur Hervé Archambeau qu’on doit leur venue dans ce lieu idéal qu’est la salle Cortot, où l’on aurait dû, en ce dimanche après-midi, refuser du monde, tant un tel événement était porteur d’émotion en même temps que de respect pour ces deux hommes dépositaires d’une tradition aussi ancienne qu’impressionnante. Rien de plus difficile que Mozart, pourtant, et surtout pour un concert entier. Mais le cœur y est: par cœur, car jusqu’à la toute fin du programme, ils n’auront jamais la partition sous les yeux, et, surtout, avec le cœur, car dès les Variations en sol majeur (1786) à quatre mains, ils confirment leur profonde affinité avec ce langage: une sonorité de rêve et un style parfait, certes modérément souple, mais sans la mièvrerie ou l’affectation qui lestent parfois les interprétations mozartiennes. Au premier rang, une petite fille semble s’ennuyer: il ne faut pas lui en vouloir, car elle ne mesure pas encore la chance qu’elle a de pouvoir raconter dans soixante ans à ses petits-enfants qu’elle a entendu un pianiste – Badura-Skoda – qui a joué sous la direction de Furtwängler...
Demus revient ensuite seul pour trois des témoignages les plus audacieux et passionnants que Mozart ait laissés pour le piano seul, ces morceaux isolés, comme autant de pages d’un journal intime, allant bien plus loin dans l’expression et l’innovation que la plupart des Sonates: la Fantaisie en ut mineur (1782), la Fantaisie en ré mineur (1782) et l’Adagio en si mineur (1788), enchaînés quasiment attaca. A chaque fois, tranquillement et fermement, sans pathos inutile (et sans le moindre accroc technique), le pianiste narre une histoire, crée un univers, celui d’un Mozart qui, sans paraître anachronique, n’en annonce pas moins déjà Beethoven et Schubert.
Il retrouve son partenaire dans une rareté qu’ils ont enregistrée pour Valois (au pianoforte) puis pour Erato: un Larghetto et Allegro en mi bémol pour deux pianos (placés côte à côte et non tête-bêche comme de coutume). Ce diptyque date sans doute du début des années 1780 mais n’a été retrouvé qu’en 1962 en Moravie parmi des manuscrits attribués à Gluck et ayant appartenu à l’Archiduc Rodolphe. Badura-Skoda, connu pour ses reconstitutions d’œuvres de Schubert, a dû procéder à un travail comparable pour offrir les sept minutes de ce bref Larghetto suivi d’un volubile Allegro de forme sonate.
P. Badura-Skoda
Après l’entracte, c’est au tour de Badura-Skoda de se présenter seul, dans la Quatorzième sonate (1784), sans la Fantaisie qui lui sert de portique. Moins sûr que Demus, il prend des risques à accentuer le caractère Sturm und Drang du propos, avec une urgence qui s’insinue même jusque dans un Adagio assez enlevé. Retrouvailles pour la Sonate pour deux pianos: l’entente n’est pas toujours optimale – Badura-Skoda jette à plusieurs reprises des regards interrogatifs à un Demus impassible – mais l’attelage des deux Steinway ne rompt pas. Le rythme de danse qu’ils impriment à l’Allegro molto est particulièrement séduisant, mais c’est l’Andante qu’ils choisissent de bisser.
Demus donne ensuite le «premier» morceau pour piano composé par un Mozart de sept ans, un Menuet en sol (1763), K. 1, bien sûr. Il ne reste plus à Badura-Skoda qu’à boucler la boucle avec l’ultime composition pour clavier, le céleste Adagio en ut (1791), originellement destiné à l’harmonica de verre (K. 617a [356]). Tout un symbole, car grâce au duo autrichien, c’est bien l’alpha et l’oméga de Mozart qui a été révélé au public au cours de ce concert.
Le site de Paul Badura-Skoda
Simon Corley
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