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Schumann au régime Baden-Baden Festspielhaus 12/18/2009 - Igor Stravinsky : Pulcinella, Suite
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54 – Symphonie N° 3 «Rhénane», opus 97
Radu Lupu (piano)
Deutsche Kammerphilharmonie, Paavo Järvi (direction) R. Lupu et P. Järvi (© Marcus Gernsbeck)
Associer Radu Lupu et Paavo Järvi est un pari osé. Autant l’un est un pianiste poète, ouvertement lyrique, adepte de l’apprivoisement du temps qui passe voire qui s’arrête, autant l’autre est un stakhanoviste de l’avancée et du rebond rythmique, ennemi déclaré de l’alanguissement.
Et pourtant, le temps d’un Concerto pour piano de Schumann comme on ne l’entendra vraiment pas tous les jours, l’appariement fonctionne sans accroc. Confortablement tassé sur sa petite chaise, Lupu sculpte ses traits à grands coups de patte, dialoguant souvent directement avec la petite harmonie, à laquelle il impose tout naturellement son propre tempo intérieur, comme si le chef n’existait pas. Et Paavo Järvi se prête au jeu, disposé à attendre, à écouter, et à reprendre la main de temps à autre. Un Concerto de Schumann onirique, tiré par le pianiste avec une remarquable constance vers l’affetuoso, le chef se chargeant de rappeler régulièrement qu’il s’agit quand même d’un Allegro. Au total on s’amuse énormément, à un niveau musical dont il paraît presque superflu, compte tenu de l’envergure du pianiste, de souligner le caractère continuellement grisant. En bis, «Des Abends», extrait des Fantasiestücke Op. 12 , ouvre là encore les portes d’un monde fascinant, fantasque, subjectif, d’une incroyable subtilité.
Le reste du concert permet de se familiariser sur le vif avec une phalange qui accomplit en ce moment un remarquable parcours discographique, dont le sans faute d’une intégrale des Symphonies de Beethoven qui a fait date. Mais la déception, inattendue, est rude. Dans la Suite de Pulcinella Paavo Järvi tente d’imposer une approche uniformément tranchante, osant l’âpreté de dissonances laissées à l’état brut. Une conception qui pourrait fonctionner si elle était plus subtilement dosée, en alternance avec des moments de plus grande souplesse. Mais ici l’excès de frottements crissants crée une impression de désordre, et surtout de phalange qui ne possède pas les moyens techniques en rapport avec ses ambitions. Les timbres de la petite harmonie sonnent parfois bien frustes, avec même un vilain accident du hautbois, à deux reprises sur exactement le même phrasé bizarre, semble-t-il exigé par le chef et sans doute difficilement réalisable en pratique.
Résultat à peine meilleur dans une Troisième Symphonie de Schumann dénutrie, où l’énergie sèche que tente d’insuffler le chef ne compense pas l’impression que l’on passe à côté du romantisme noble de l’ouvrage (un Feierlich bien maigre et quelconque, malgré l’impeccable tenue des cuivres). Peut-être qu’au disque ce type de dissection minutieusement assistée par les artifices du studio passerait bien. En concert en revanche, l’impression est agaçante, la Deutsche Kammerphilharmonie paraissant surtout, en dépit d’une remarquable discipline d’ensemble, une formation qui manque d’ampleur et de corps, voire qui tente de trop prouver, alors qu’elle devrait plutôt chercher encore à progresser.
En bis, le dernier mouvement de la Première Symphonie de Beethoven paraît plus convaincant, le dégraissage de rigueur fonctionnant mieux dans cette partition d’essence encore haydnienne. Une approche musicale qui reste cependant pour l’oreille ce que la gastronomie de luxe pauvre en calories est au palais : une école d’apprentissage des plaisirs pervers de la frustration.
Laurent Barthel
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