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Un Mahler en demi-teinte

Paris
Théâtre du Châtelet
12/17/2009 -  et 18 décembre 2009 (Amsterdam)
Gustav Mahler : Extraits de «Des Knaben Wunderhorn» – Symphonie n° 1 «Titan»
Matthias Goerne (baryton)
Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction)


Depuis plusieurs années, les scènes parisiennes mettent régulièrement à l’honneur la musique de Gustav Mahler, qu’elle soit interprétée par les grandes phalanges internationales ou par les orchestres nationaux. Après un cycle symphonique donné il y a quelques années par Myung-Whun Chung à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio-France, voici Daniele Gatti qui, à la tête de son orchestre, entame à son tour un large et long panorama de l’œuvre de Mahler, le premier concert ayant eu lieu le 29 octobre dernier (où était notamment programmé Das klagende Lied), le dernier devant se tenir le 1er décembre 2011 (ce sera la Symphonie n° 10). Comme l’explique le chef italien dans la brochure (d’excellente qualité) couvrant l’ensemble de ces concerts, «né en 1860, mort en 1911, [Mahler] nous permet de fêter le cent-cinquantenaire de sa naissance en 2010 et de célébrer les cent ans de sa disparition en 2011. D’où l’idée de cet hommage en 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, car donner tout Mahler en une seule saison aurait été trop lourd, à la fois pour l’orchestre et pour moi».


L’espace d’une soirée, le mélomane avait donc le choix cornélien entre la «Résurrection» dirigée par Mariss Jansons à la Salle Pleyel (voir ici) et le deuxième concert du cycle Mahler par le National, au théâtre du Châtelet. En première partie de ce concert, huit extraits du Knaben Wunderhorn («Le Cor merveilleux de l’enfant»), recueil de récits populaires que Mahler (1860-1911) a découvert au début de l’année 1888 et qui l’inspira tout au long de son œuvre. Il compose un premier groupe de Lieder sur ce thème dès 1888, reprend son ouvrage en 1892, orchestre le «Fischpredigt» en août 1893 et achève le cycle par le terrible «Der Tambourg’sell» en 1901. L’œuvre pouvant être interprétée aussi bien par une voix féminine que masculine, Daniele Gatti a proposé à Matthias Goerne, soliste habitué du National (il chantera d’ailleurs aussi bien les Kindertotenlieder que les Rückert-Lieder dans le cadre du cycle entamé par l’orchestre), de déclamer ce soir huit des quinze lieder constituant l’ensemble du Knaben Wunderhorn (la seconde partie du cycle sera donnée par Christine Schäfer le 17 juin 2010 avant la Quatrième symphonie). Le public a véritablement eu droit à une leçon de chant! Goerne, qui a enregistré l’œuvre sous la direction de Riccardo Chailly (pour la firme Decca), sait en effet donner son sens à chaque mot, jouer sur les allitérations ou les changements d’atmosphère… Il passe ainsi, dans le beau «Der Schildwache Nachtlied», de l’extrême douceur à la sourde violence en un instant, magnifiquement accompagné par un orchestre attentif aux moindres inflexions de Daniele Gatti (soulignons d’ailleurs au passage l’interprétation millimétrée de Luc Héry, premier violon solo du National). Matthias Goerne se montre ensuite tour à tour matamore (dans le «Trost im Unglück»), son chant se mêlant on ne peut mieux avec la fanfare de l’orchestre, philosophe (dans le célèbre sermon de saint Antoine aux carpes, brochets, morues et autres poissons, «Des Antonius von Padua Fischpredigt») et, tout simplement, humain dans le poignant «Der Tambourg’sell», narrant le chemin qui conduit un homme à la potence et dont le chant se conclut par des silences et des soupirs. L’ovation qui accueille ces dernières notes fut amplement méritée tant Goerne a réussi, à chaque fois, à trouver le ton juste pour interpréter avec une rare intelligence un cycle de mélodies qui recèle à lui seul tous les thèmes de l’œuvre mahlérienne.


C’est donc avec d’autant plus de fébrilité qu’on attend la seconde partie du concert, consacrée à la Première symphonie. On en sera malheureusement pour nos frais. Qualifiée initialement de «poème symphonique», cette symphonie fut composée en un temps record (de janvier à mars 1888) par un jeune compositeur qui, outre ses activités de chef d’orchestre reconnu, ronge son frein de ne pouvoir livrer son œuvre au public. Fraîchement accueillie par la critique, elle fut remaniée par Mahler en 1896 notamment et ne connut que très progressivement le succès. Compte tenu de l’excellence de l’Orchestre national de France en première partie et de la finesse interprétative de Daniele Gatti, on s’étonne d’entendre, dès le premier mouvement, certaines imperfections de la part des musiciens mais, surtout, une atmosphère extrêmement lourde et compassée. Les grandes lignes disparaissent rapidement, Gatti présentant davantage l’œuvre sous la forme de blocs distincts les uns des autres, qui se succèdent mais qui ne racontent pas la même histoire. Dans le deuxième mouvement, on regrette la lourdeur imposée par Gatti à l’orchestre, faisant ainsi perdre à la partition son côté burlesque et rustique à la fois. Le solo de contrebasse (tenu avec une parfaite sobriété par Maria Chirokoliyska) inaugure ensuite le célèbre mouvement dont le thème reprend la mélodie «Frère Jacques», sûrement la partie la plus réussie de la symphonie, Gatti conduisant au surplus de façon admirable la transition avec le véritable cataclysme sonore qui inaugure le mouvement final. La bonne surprise retombe néanmoins très rapidement, les tempi étant contrastés à l’extrême afin de rendre les passages rapides encore plus véloces et les passages lents encore plus retenus. Nul doute que l’Orchestre national de France nous donnera, au fil de son cycle Mahler, des interprétations plus convaincantes: il a, grâce encore une fois à une superbe première partie, montré qu’il en avait toutes les capacités.


Le site de Matthias Goerne



Sébastien Gauthier

 

 

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