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Indétermination kaléidoscopique

Paris
Cité de la musique
12/03/2009 -  
Enno Poppe : Interzone : Lieder und Bilder

Marcel Beyer (livret), Anne Quirynen (espace et images), Omar Ebrahim (récitant, baryton)
Ensemble vocal Exaudi, James Weeks (directeur musical), Ensemble intercontemporain, Susanna Mälkki (direction)


E. Poppe (© Kai Bienert)



Dans le cadre du Festival d’Automne 2009 à Paris, la Cité de la musique et l’Ensemble intercontemporain ont choisi de coproduire la première œuvre scénique du compositeur allemand Enno Poppe : Interzone : Lieder und Bilder, commande des Berliner Festspiele en 2004. L’œuvre de commande devant faire appel à la voix et à la vidéo, Poppe (né en 1969) trouva en la plasticienne Anne Quirynen et l’écrivain Marcel Beyer, auteur du livret, des collaborateurs de choix.


Interzone prend son élan dans le recueil de nouvelles éponyme de William S. Burroughs. Ecrites en partie pendant le séjour de Burroughs dans la zone internationale de Tanger dans les années 1950, les nouvelles au style et à la substance prometteurs, véritable «kaléidoscope de visions mentales» (livret, III/17), furent une source d’inspiration remarquable pour les trois aspects de l’œuvre (musique, texte, vidéo) qui gardent une relative autonomie et restent en contrepoint l’un de l’autre. Le livret, écrit en anglais, est une œuvre littéraire en soi qui ne cite jamais Burroughs mais qui en tire son essence poétique dans une suite d’évocations fugitives de personnages protéiformes, forts ou faibles, fluctuants et instables. La vidéaste confie à huit écrans mobiles un film éclaté aux images, en perpétuelle métamorphose, de villes étranges et colorées, lieux indéterminés aux lignes fortes ou floues, animés de lumière et peuplés de silhouettes fragiles aux visages expressifs ou insaisissables. L’installation de la vidéaste touche au plateau des musiciens qu’elle situe au centre de la salle, surmonté du cercle lumineux des écrans.


Pour sa première œuvre de grande envergure, Enno Poppe, séduit par l’indétermination hallucinatoire et l’irrésolution affective qui se dégage des écrits, transforme ses impressions en techniques et émotions musicales grâce à sa sensibilité évidente, à son rapport très naturel à la musique et à sa connaissance profonde des possibilités instrumentales qu’il élabore au cours d’expérimentations avec l’Ensemble Mosaik dont il est le directeur musical depuis 1998. Il exclut les cordes de l’instrumentarium pour créer un ensemble de sonorités big band, sans toutefois en adopter le style, et tire par éclairs de deux synthétiseurs les sons distinctifs des orgues Hammond immédiatement évocateurs des années mythiques de la beat generation. L’évolution est organique. Insensiblement, presque par morphing, à travers l’œuvre on passe d’une écriture rapide et heurtée aux rythmes marqués et aux dissonances volontairement stressantes à une écriture plus étirée, translucide, mélismatique et apaisée. Tanger et le Maghreb inspirent pour les voix des unissons polyphoniques aux ornementations micro-tonales mais les pupitres sont en général divisés ou isolés, les voix flexibles aux vacillements esthétiques à la coréenne.


La partition du récitant parcourt le terrain vague de cet entre-deux permanent dans une errance parlée ou chantée qui exige de l’interprète des qualités d’acteur assez importantes. Le talentueux baryton Omar Ebrahim y est admirable. Sa voix chaleureuse et expressive, sa présence scénique et sa profonde humanité mettent en relief les rêves et les désarrois de personnages incertains tel le chercheur d’abeille à la gorge frémissante ou l’angoissé déchirant prêt à mourir «n’importe où, mais pas dans un hôpital, pas dans un lit»... La précision vocale et la beauté sonore des cinq solistes de l’Ensemble Exaudi sont un plaisir en soi au-delà des méandres poétiques d’un texte en anglais difficile à assimiler au premier abord. Les voix sont pleinement en accord avec la finesse d’une musique aux attaques tuilées, aux intervalles jusqu’au huitième de ton et aux raffinements sonores jusqu’alors insoupçonnés. Leur musicalité est un ravissement.


Susanna Mälkki dirige les solistes, membres de l’Intercontemporain, avec la rigueur, la justesse et l’exigence que l’on lui connaît, qualités si nécessaires ici. La composition fait appel à vingt-huit instruments – vents, cuivres, claviers, accordéon – et à une percussion fournie. Les douze musiciens s’adaptent avec une souplesse et une précision tout à fait impressionnantes aux contraintes d’une partition qui demande constamment un changement d’instrument. Ils tirent parti des difficultés comme de la complexité de l’œuvre avec une prouesse sereine qui force l’admiration.


L’expérience de cette œuvre est à renouveler si l’on veut goûter encore plus à fond les subtilités troublantes mais sures de la puissance compositionnelle d’Enno Poppe mais l’interprétation, dès ce premier soir, assure un plaisir immense.



Christine Labroche

 

 

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