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Pollini Perspectives VIII : Démesures

Paris
Salle Pleyel
12/07/2009 -  
Luciano Berio : Sequenza I pour flûte – Sequenza VII pour hautbois – Sequenza XII pour basson – Altra Voce, pour flûte alto, mezzo-soprano et électronique live
Arnold Schönberg : Trois Pièces pour piano opus 11
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 29 “Hammerklavier” opus 106

Maurizio Pollini (piano), Michele Marasco (flûte), Didier Pateau (hautbois), Pascal Gallois (basson), Monica Bacelli (mezzo-soprano), Tempo Reale (électronique live)


M. Pollini (© Philippe Gontier)


Avant le huitième concert «Pollini Perspectives», cycle de neuf concerts planifiés par Maurizio Pollini, certaines mauvaises langues se demandaient combien de personnes, malgré l’affiche prestigieuse, allaient pointer leur nez lors de la pause, pour la seule seconde partie. En effet, maître Pollini avait concocté un programme exigeant et d’une rare cohérence, associant des œuvres phares du XXe siècle à une pièce novatrice du répertoire classique en bousculant la chronologie et en plaçant les premières en première partie. En vérité, l’association n’était pas nouvelle au sein de ce superbe cycle préparé par le célèbre pianiste italien (voir ici, ici, ici et ici) et la seconde partie devait également débuter par du « contemporain », d’il y a tout juste un siècle, et les concerts précédents avaient finalement rencontré de beaux succès. Toutefois certains quittèrent quand même leur fauteuil pour revenir après la pause tandis que d’autres profitaient de la première partie pour vider ostensiblement leurs poumons.


Ce soir, il s’agissait essentiellement d’œuvres cherchant à explorer les limites de l’instrument choisi (flûte, hautbois, basson et piano) quitte à perdre pied, d’une difficulté déraisonnable, à la porte d’entrée des boursouflures pathologiques et des divagations bavardes.


Tout d’abord, Berio (1925-2003), dans ce qu’il a peut-être produit de meilleur tout au long de sa vie créative, d’une vitalité et inventivité constantes : ses Sequenze. Trois d’entre elles étaient proposées.
Sa Sequenza I (1958), consacrée à la flûte, replaçant d’emblée l’instrumentiste au centre de la démarche créative, fut tout d’abord confiée à Michele Marasco. Celui-ci privilégia les dynamiques, les tensions rythmiques sur la précision du trait, mais la démonstration, volontiers anguleuse, fut éclatante de bout en bout.
Didier Pateau montra ensuite l’incroyable richesse de timbres de la Sequenza VII (1969), naturellement dédicacée et créée par Heinz Holliger. Sa maîtrise des dérèglements et des échos était confondante.
Mais Pascal Gallois, droit comme un i derrière son basson, dans une pénombre quasi totale, éleva encore le niveau, s’il était possible. Dédicataire et créateur de cette Sequenza XII en 1988, il fît vibrer son instrument comme une corde, procédant à des glissandos sans fin, tintés d’humour, le son évoquant parfois une sorte d’ULM tournoyant, cherchant à atterrir et partant en vrille au milieu de combinaisons sonores inouïes.
Alta Voce (1999), enfin, fut interprété derrière un bureau drapé de noir, sur lequel circulaient les partitions, Michele Marasco et Monica Bacelli semblant prêts à présenter, devant leurs micros, quelque journal télévisé des années cinquante, mais non face à une caméra puisque le traitement informatisé des sons, au rôle difficile à décrire, était réalisé dans l’axe, au milieu de l’orchestre, par le centre de production, de recherche et de formation musicale créé par Berio lui-même, Tempo Reale. Tout autant sophistiquées que les précédentes, ces pages d’oaristys, rappelant à certains égards Stimmung (1968) de Karlheinz Stockhausen, faisaient toutefois moins appel à la virtuosité des exécutants qu’à leur sensualité effusive, le texte émanant d’ailleurs de la troisième femme de Berio, Talia Pecker-Berio. Elles trouvèrent là des interprètes d’exception.


Les Trois pièces de l’Opus 11 (1909) de Schönberg, qui ouvrirent la seconde partie furent, furent quant à elles quelque peu décevantes, surtout par rapport à leur exécution de mars. La lecture qu’en fit Pollini se révéla excessivement analytique, gommant toute trace d’expressionnisme au point d’en être vidée de toute substance. Restaient une science de la pédale et une clarté des plans sonores remarquables.
Pollini semblait vouloir s’attaquer au plus vite au Monument : la Hammerklavier. Il se précipita d’ailleurs sur le clavier du gigantesque Steinway tel un fauve, n’attendant pas la fin des applaudissements d’entrée. Si le premier mouvement parut précipité, manquant de respiration et émaillé de quelques accrocs mais sans bouillie sonore – véritable risque –, la suite allait montrer la parfaite domination de l’artiste italien sur cette partition aussi grandiose que rétive, à nulle autre pareille et si rarement jouée au concert. Dans l’admirable Adagio, le chant se déploya sans sentimentalisme déplacé mais avec la noblesse résultant de la maturation de toute une carrière, chaque note étant incroyablement soupesée. Le toucher, la souplesse de Pollini furent encore plus admirables dans l’Allegro risoluto final, en en dégageant toute la modernité autant que la complexité sans se départir d’une clarté maintenant légendaire.


Celle-ci trouva à se manifester encore dans deux bis exceptionnels, deux Bagatelles, aussi naturelles pour évoquer le Beethoven dernière manière que surprenantes après l’immense, radicale et éprouvante Opus 106.


Le 22 juin 2010 le cycle se conclura en compagnie du London Symphony Orchestra dirigé par Peter Eötvös. Le Double (Grido II) de Helmut Lachenmann devrait en être la pièce de choix.



Stéphane Guy

 

 

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