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Un libertin au petit pied Paris Athénée - Théâtre Louis-Jouvet 11/24/2009 - et 26, 27, 29 novembre (Paris), 2 décembre (Saint-Quentin-en-Yvelines) 2009 Igor Stravinski : The Rake’s Progress (version abrégée)
Elizabeth Calleo (Anne Trulove), Jonathan Boyd (Tom Rakewell), Ivan Ludlow (Nick Shadow), Allison Cook (Mother Goose, Baba the Turk), Johannes Schmidt (Trulove), Paul-Alexandre Dubois (Sellem)
Christophe Manien (clavecin, répétiteur), Chœur T&M-Paris, Léo Warynski (chef de chœur, assistant directeur musical), Orchestre des lauréats du Conservatoire de Paris, Franck Ollu (direction)
Antoine Gindt (mise en scène, scénographie), Céline Gaudier (assistante à la mise en scène), Carolina Espirito Santo (scénographie, costumes), Laurent Cauvain (lumières), Gérard Ségard (illustrations)
J. Boyd, I. Ludlow (© Volker-Parker)
L’Athénée accueille jusqu’au 29 novembre The Rake’s Progress (1951) dans une production de T&M (Théâtre et Musique) réalisée en collaboration avec le Conservatoire de Paris (CNSMDP) et avec l’aide du Théâtre de Gennevilliers. Près de soixante ans après sa création à La Fenice, l’opéra en trois actes de Stravinski se porte bien, car les metteurs en scène les plus renommés s’y sont intéressé ces dernières années: Robert Lepage à la Monnaie au printemps 2007 (voir ici), revu à Madrid au début de l’année (voir ici) puis à nouveau à Bruxelles le mois dernier (voir ici); reprise en novembre 2007 (voir ici) du spectacle conçu par André Engel au Théâtre des Champs-Elysées en novembre 2001 (voir ici); entrée au répertoire de Garnier avec Olivier Py en mars 2008 (voir ici); enfin, Martin Kusej à Zurich en février 2009 (voir ici) – et on en oublie certainement.
Imiter ou s’inspirer de ces nombreux précédents est le reproche qu’on ne pourra pas adresser à cette nouvelle production. Ne serait-ce que parce qu’elle affiche des ambitions plus modestes, à commencer par sa scénographie minimaliste, comme destinée à ce temps de crise. Pas de décors, sinon un praticable carré, angle pointé vers la salle, dont la blancheur se colore sous l’effet des lumières de Laurent Cauvain (rouge pour le bordel de Mother Goose, rose pour le mariage de Tom, bleu pour la nuit, ...) et dont la forme trouve sa réplique sur le mur du fond, servant à la projection d’un croissant de lune ou d’une aiguille d’horloge. Peu d’accessoires, de même, principalement deux fauteuils pivotants blancs et des tableaux lumineux tombant des cintres pour évoquer le bric-à-brac de Baba la Turque mis aux enchères. L’imagination du spectateur est toutefois stimulée, avant chaque tableau, par un croquis de Gérard Ségard diffusé sur une toile transparente déployée à l’avant-scène. Les costumes discrètement contemporains (des années 1950 à nos jours) de Carolina Espirito Santo, qui cosigne la scénographie avec le metteur en scène Antoine Gindt, font également dans l’épure.
Celui-ci, dans sa note d’intention, loue «l’immense potentiel dramatique de l’œuvre», mais la diète qu’il fait subir au pastiche néoclassique de Stravinski et de ses librettistes Auden et Kallman est radicale. On lui saura certes gré de ne pas avoir forcé le trait: Baba la Turque, par exemple, d’habitude monstrueuse ou grotesque, n’est ni enlaidie, ni même caricaturée, devenant ici l’un de ces people hypermédiatisés que la foule vénère simplement en raison de sa célébrité. Dans le même esprit, sa vision de Nick Shadow, qui ne tombe pas dans le piège du diable aux ricanements sarcastiques, n’en est que plus inquiétante.
Mais cette approche privilégie excessivement une dimension – le sérieux du propos – au détriment des autres – l’humour, la verve, la vivacité, l’ironie, la couleur – bref, le troisième acte contre les deux premiers: The Rake’s Progress n’est pourtant pas Œdipus Rex, qui aurait davantage justifié cette direction d’acteurs immobilisant les chanteurs, assis, debout de trois quarts ou dos au public, ou bien réduits à se contorsionner au sol. La partition, elle aussi, est rabotée d’environ un cinquième (deux heures au lieu de deux heures et demie), et pas seulement dans les récitatifs: il aurait toutefois été pour le moins correct d’en faire état dans le dépliant remis à l’entrée de la salle, même si certaines de ces coupures se justifient par les partis pris dramaturgiques, y compris la suppression de l’Ouverture et de l’Epilogue, pages sans doute jugées trop éclatantes.
Ce n’est hélas pas l’orchestre qui dynamise ce «libertin aux petits pieds» (sic): en effectif très réduit (douze cordes), les lauréats du Conservatoire de Paris, habillés de blanc des pieds à la tête et placés à l’arrière-scène, se montrent bien moins à leur avantage qu’à l’accoutumée. Et Franck Ollu, lui aussi vêtu de blanc, n’améliore pas les choses, battant la mesure de manière sèche et carrée, même dans les rares récitatifs ayant survécu à la hache: les textures ne sont pas claires, l’équilibre entre les pupitres n’est pas très satisfaisant et le tout sonne trop souvent comme du mauvais Milhaud. Le chœur, lui-même réduit à huit unités, ne possède pas un anglais très idiomatique.
Le salut vient partiellement des solistes, pas tant de l’Anne prudente, inégale et peu assurée d’Elizabeth Calleo, que du Tom de Jonathan Boyd, émouvant dans les dernières scènes, et de son ombre, Ivan Ludlow, un peu léger mais d’une grande subtilité. On oubliera en revanche un Truelove se contentant de grommeler son rôle pour saluer le tempérament d’Allison Cook, dans sa double incarnation de Mother Goose et de Baba la Turque, la seule à faire entrer un peu de vie dans cette bien sérieuse soirée.
Le site de T&M
Le site de Jonathan Boyd
Le site d’Ivan Ludlow
Le site de Franck Ollu
Le site de Gérard Ségard
Le site de l’Athénée – Théâtre Louis-Jouvet
Simon Corley
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