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Pollini Perspectives VII : Paris, Milan, Budapest Paris Salle Pleyel 11/16/2009 - Béla Bartók : Quatre pièces, sz. 51 – Concerto pour piano n° 2, sz. 95 – Le Mandarin merveilleux, sz. 73
Maurizio Pollini (piano)
Filarmonica della Scala di Milano, Pierre Boulez (direction)
P. Boulez (© Harald Hoffmann/DG)
Après les associations insolites d’œuvres d’époques très différentes (voir ici, ici, ici et ici), l’antépénultième étape des «Pollini Perspectives» – rejoignant en l’occurrence le cycle «Identités hongroises» de la Cité de la Musique (voir ici) – se concentre sur l’œuvre de Béla Bartók, dont elle offre un portrait magistral.
Il faut dire que l’association Boulez/Bartók déçoit rarement. Après un concert de haute tenue avec l’Ensemble Intercontemporain (voir ici), le chef français, qui se dirige vers ses 85 ans, est décidemment en forme : il électrise l’Orchestre Philharmonique de la Scala de Milan – qui lui rendra un hommage appuyé – dans un répertoire que l’on n’associe pas spontanément à cette formation (laquelle effectue un court séjour à Paris). De fait, la sonorité de l’orchestre italien (d)étonne dans ces œuvres qu’il semble comme alléger et rafraîchir : pour le meilleur (avec des percussions impeccables, des cuivres pleins de chaleur et de véhémence)… comme pour le moins bon (un manque de cohésion entre et au sein des pupitres, des cordes parfois ternes ou mollassonnes). C’est surtout dans la version intégrale du Mandarin merveilleux (1919), donnée après l’entracte, que l’on observe, outre quelques chutes de tension, des sonorités qu’on aimerait plus habitées, plus denses, plus lourdes. Mais Pierre Boulez organise si tranquillement et si méticuleusement la sauvagerie de la «pantomime en un acte» qu’il ne manque pas de fasciner. Magnétique par l’économie de son geste, il sait également galvaniser ses troupes, allant jusqu’à taper du pied pour lancer de démentes chevauchées.
On apprécie de la même manière, dans les Quatre pièces (1912), une sauvagerie contrôlée, des langueurs lascives et une nonchalance presque triviale qui génère pourtant une atmosphère envoûtante. Anne Rousselin souligne d’ailleurs à juste titre, dans les notes de concert, que cette partition, composée pour piano à quatre mains et orchestrée par Bartók en 1921, est empreinte «d’influences symboliste et postromantique, plus précisément debussyste et straussienne».
En 1977, Maurizio Pollini enregistrait une version d’anthologie du Deuxième concerto pour piano (1931) avec son compatriote Claudio Abbado (DG). C’est peu dire que le pianiste italien est en terrain connu dans ce concerto, dont il maîtrise les déchaînements digitaux comme les méditations majestueuses. Pollini est pourtant à la peine, dans le début de l’œuvre, paraissant par moments courir après l’orchestre comme après ses poignets. Les choses s’arrangent par la suite, le pianiste ayant récupéré toute son agilité et sa concentration dans le redoutable Presto du deuxième mouvement. Si la frappe ne s’abat pas sur l’ivoire avec la force d’antan, elle est en tout cas utilisée au service d’une interprétation impérieuse et délicate à la fois, parvenant à créer des ambiances hypnotisantes de sérénité, dans l’intimisme de l’Adagio comme dans le tourbillon des notes de l’Allegro, habité avec un calme intimidant. Sans tonitruance, refusant tout effet, toujours attentif au tissu orchestral, Maurizio Pollini se fait maître du rythme et des couleurs.
Le 7 décembre prochain, alors que la Scala ouvrira sa saison avec une nouvelle production de Carmen, l’avant-dernière étape des «Pollini Perspectives» retournera au concept initial de la confrontation des époques et des styles, avec un concert Berio/Schönberg/Beethoven, au cours duquel Maurizio Pollini s’attaquera à un autre monument : la Sonate «Hammerklavier».
Gilles d’Heyres
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