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Un duo sublime à en mourir d’amour

Marseille
Opéra
11/12/2009 -  et 14, 17, 19, 22 novembre 2009
Giacomo Puccini : Manon Lescaut

Catherine Naglestad (Manon), Zwetan Michailov (Des Grieux), Marc Barrard (Lescaut), Jacques Calatayud (Geronte), Julien Dran (Edmond), Aude Extrémo (un musicien)
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Lodice (chef du chœur), Luciano Acocella (direction musicale).
Yves Coudray (metteur en scène), Katia Duflot (costumes), Michel Hamon (décors)


(© Christian Dresse)



L’Opéra de Marseille nous propose une nouvelle production maison de Manon Lescaut, le premier triomphe de Puccini. La représentation a suscité un fort enthousiasme, d’abord grâce aux deux chanteurs principaux, pleinement à la hauteur des exigences de la partition, des personnages, et de la beauté de cette musique, bien qu’il s’agisse pour tous les deux une prise de rôle. La soprano américaine Catherine Naglestad nous a littéralement subjugué par la splendeur constante de sa voix, d’une merveilleuse souplesse, au timbre toujours velouté, usant de toutes les gammes de nuances, depuis des sotto voce et des sons filés à se pâmer, jusqu’aux éclats incandescents des passions extrêmes. Ses phrasés raffinés, sa musicalité innée, comme son jeu scénique, lui permettent d’incarner à la perfection touts les facettes de ce personnage complexe, tour à tour ingénue avide de liberté, coquette boudeuse et frivole attirée par le luxe, amante lascive que ses appétits sensuels inassouvis ramènent à l’amour, prisonnière apeurée, et enfin héroïne tragique à l’agonie déchirante. Catherine Naglestad a été désignée il y a peu « meilleure chanteuse de l’année » par le magazine Opernwelt pour ses interprétation d’Alceste et de Norma, puis élue « Maria Callas Debut Artist of the Year » pour sa Tosca chantée sur les principales scènes du monde. A l’entendre aussi sublime en Manon, on se dit que ces récompenses allaient de soit, et on espère qu’une maison de disques aura la bonne idée de lui faire enregistrer très vite ce rôle, puisque pour l’heure rien n’est encore prévu.


Le ténor d’origine bulgare Zwetan Michailov, habitué aux premiers rôles de l’opéra italien (Don Carlo, Pinkerton) mais aussi français (Carmen, Les Contes d’Hoffmann) sur des scènes telles que Salzbourg, Vienne ou Covent Garden, venait pour la première fois à Marseille. Il nous a étonné d’emblée par sa puissance, presque excessive au début, comme s’il se trouvait à la Bastille, et non dans ce merveilleux théâtre à taille humaine de Marseille. Mais quelle santé vocale ! Evidemment, ses fortissimos tonitruants déséquilibraient un peu les premiers duos avec une Manon d’abord délicate. Au premier acte, il semblait un Des Grieux trop massif et héroïque, du moins vocalement, car son jeu d’acteur aux gestes économes rendait davantage l’étudiant timide soudain enflammé d’amour. Mais à mesure du déroulement de l’action, il a incarné de façon très émouvante la souffrance de l’homme écrasé par une passion dévorante et un destin funeste. Nous n’avons appris qu’après la représentation le prodigieux tour de force qu’il venait d’accomplir : le ténor initialement prévu, Andrew Richards, s’était déprogrammé in extremis. Aucun chanteur connaissant le rôle n’étant disponible, dix jours avant la première, il a accepté de relever le défi d’apprendre ce rôle, l’un des plus écrasants du répertoire ! On peut comprendre sa tension au début, également due à la surprise de la transformation de l’acoustique de la salle dès qu’elle est remplie. Etre aussi impeccable techniquement tout au long dans de telles conditions mérite un profond respect. Nul doute aura-t-il le temps au fil des représentations de nuancer son chant et de creuser encore davantage la psychologie du personnage, afin d’égaler pleinement la perfection atteinte par Catherine Naglestad. D’un autre côté, le spectacle donné par ces deux artistes fabuleux nous a déjà laissé brisé d’émotion, à court de larmes. S’il s’avisait de faire encore mieux, cela ne risque-t-il pas d’être insoutenable ?


Chose rare, le reste de la distribution a été à la hauteur, ce qui n’est pas peu dire, avec d’abord le baryton Marc Barrard en Lescaut, belle voix puissante d’une impeccable musicalité. Avec les mêmes qualités, le baryton-basse Jacques Calatayud a campé un Géronte plutôt noble et farouche, évitant la caricature facile du vieillard libidineux. Le ténor Julien Dran a relevé le redoutable défi de donner la réplique en Edmond à Zwetan Michailov, avec une voix évidemment plus légère, mais de beaux phrasés. Enfin la toute jeune mezzo Aude Extrémo a conféré beaucoup de charme et de grâce au rôle travesti du musicien chanteur de madrigaux. On ne peut que louer l’Opéra de Marseille de réussir à offrir un plateau vocal d’une telle qualité, tout en maintenant des tarifs abordables qui permettent de faire salle comble, alors que ses subventions proviennent à 97% de la seule Mairie de Marseille. Chapeau bas !


Puccini n’aurait pas été parfaitement servi si le chef Luciano Acocella n’avait pas mené tout cela de main de maître. L’orchestre nous a ravi par la rondeur et la chaleur de ses sonorités, le galbe de ses phrasés. Au premier acte il nous semblait discret, avant tout au service des chanteurs. Mais il a admirablement répondu aux sollicitations du chef pour rendre les arabesques légères et subtiles de l’acte II, comme les couleurs mordorées intenses des harmonies quasi tristanesques des actes III et IV. Chose rare, l’Intermezzo, bouleversant et somptueux (en dépit d’un petit couac ponctuel), a été longuement applaudit par le public. Les chœurs ont été aussi bien conduits, avec un accompagnement du madrigal délicieux, et, lors de l’embarquement des prostituées, des murmures à vous glacer les sangs.


Seul bémol, la dimension visuelle. Le metteur en scène Yves Coudray souligne à juste titre la volonté de Puccini de se démarquer de l’opéra de Massenet et de sa restitution des grâces du XVIIIe siècle. Puccini détourne l’histoire de l’Abbé Prévost, publiée en 1731, dans un sens purement romantique et tragique. D’où la volonté d’Yves Coudray de situer l’action vers 1893, date de la composition de l’œuvre. Nous ne pouvons qu’agréer à cette démarche réfléchie. D’où aussi ce refus de tout pittoresque dans les décors, avec comme seule concession un sobre aperçu du riche intérieur de l’hôtel particulier de Géronte à l’acte II. Mais une esthétique stylisée signifie-t-elle obligatoirement une laideur qui offense à ce point le regard qu’on a juste envie de fermer les yeux pour savourer le chant ? Ainsi, au premier acte, seuls deux grands panneaux en bois sommairement découpés, l’un brun-beige, l’autre brun-ocre, devant un fond uniforme bleu pour les lointains, figurent une auberge à gauche, et une maison close à droite. Au dernier acte, le désert n’est suggéré à nouveau que par trois ou quatre panneaux rectangulaires ocre. La belle lumière dorée du début est vite chassée par un éclairage d’une impitoyable blancheur crue et blafarde, digne de néons de supermarché de hard-discount, pour accompagner la mort de l’héroïne. Seul l’acte III, avec Manon prisonnière sur le port, puis l’embarquement des déportées, est visuellement puissant, tout se passant dans la pénombre, entre les masses noires oppressantes de la prison et des navires.


On restera souvent indulgent devant les tics contemporains de la mise en scène. Le premier fait sourire : la musique a commencé depuis quelques secondes à peine, que déjà une jeune femme se dénude les seins pour faire sa toilette devant une fenêtre, épiée par l’étudiant Edmond, et suscitant un murmure ému des vieux messieurs de l’assistance. L’idée d’ajouter à l’acte I une maison close et sa cohorte de filles de joie en bas, jupon et corset, nullement prévue par le livret, n’est ni déplacée, ni déplaisante, en ce qu’elle apporte une touche de couleur et de froufrous dans un univers terne. Après tout Manon sera déportée en Louisiane avec un groupe de prostituées à l’acte III, même si l’impact de cette scène poignante rend peu utile d’insister davantage sur l’horreur de la condition féminine en ce temps. En revanche d’autres décalages systématiques entre les paroles chantées et les actes accomplis fatiguent et brouillent la perception : Manon retouche son tableau alors qu’elle est censée se maquiller, pose pour un peintre pendant une partie de sa leçon de danse, etc. La direction d’acteurs manque de lisibilité, les scènes de groupe tournent au fouillis, certains semblent abandonnés à eux-mêmes, pour quelques gestes réussis, quantités d’autres intentions sont manquées. Enfin, tout ceci reste bien mineur : on ne nous inflige pas Manon chez les Waffen-SS, l’œuvre n’est nullement trahie, et réunir un tel plateau de chanteurs, avec un orchestre et un chef aussi merveilleux, tient déjà du miracle ! Dès lors, la musique à elle seule suffit à nous porter au sommet de l’émotion, et l’on n’a qu’une envie, y replonger tous les soirs !



Philippe van den Bosch

 

 

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