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Entre la pièce de théâtre et la tragédie lyrique

Toulon
Opéra
10/23/2009 -  et 25 octobre (Toulon), 5, 8 novembre (Montpellier) 2009
Jean-Baptiste Lully: Psyché, adaptation inspirée de la tragédie-ballet de 1671 et de la tragédie lyrique de 1678

Eugénie Warnier (soprano), Lina Yang (soprano), Renaud Tripathi / François-Nicolas Geslot (haute-contre), Carl Ghazarossian (ténor), Luigi De Donato (basse)
Acteurs de la Compagnie du Griffon: Ophélie Kœring (Vénus), Aurélie Cohen (Aglaure), Véronique Dimicoli (Cydippe et le Fleuve), Maïa Guéritte (Psyché), Bruno Detante (Cléomène), Jean-Jacques Rouvière (Zéphyr et Agénor), Julien Balajas (Amour), Guy Lamarque (Le Roi, Jupiter)
Compagnie Les Bijoux Indiscrets Instruments Anciens, Claire Bodin (direction musicale et choix musicaux)
Julien Balajas (mise en scène et adaptation ), Sarah Berreby (danse et chorégraphie), Luc Londiveau (scénographie), Gabriel Vacher (costumes), Marc-Antoine Vellutini (lumières)


(© Khaldoun Belhatem)



L’Opéra de Toulon nous propose la Psyché de Lully dans une nouvelle production maison, qui sera reprise à Montpellier les 5 et 8 novembre 2009. Il existe en vérité deux Psyché de Lully, la première étant la tragédie-ballet de 1671, pièce de Molière et Corneille (car Molière a demandé l’aide du grand Corneille, son ancien rival, pour écrire une partie des vers dans les délais impartis par l’impatient Louis XIV) pour laquelle Lully avait composé des intermèdes dansés et chantés (parfois en italien !), qu’il a ensuite réutilisés en 1678 pour les insérer dans une tragédie lyrique sur un livret de Thomas Corneille, le frère de Pierre Corneille, d’après la pièce de Molière, créant ainsi l’un des premiers véritables « opéras français », avec trois heures de musique ininterrompue.


Le mélomane est un peu déçu que ce ne soit pas la tragédie lyrique dans son intégralité qui ait été représentée. Le metteur en scène Julien Balajas et la directrice musicale Claire Bodin ont choisi de créer un mixte entre les deux versions, avec une bonne partie de la pièce de théâtre originale, allégée de quelques coupes, et des extraits musicaux sélectionnés. Ils n’ont pas tenté non plus de recréer tout le faste du grand spectacle royal à machinerie du XVIIe siècle. Les acteurs et chanteurs évoluent devant un fond noir où une toile peinte, avec un décor réduit à sa plus simple expression. Choix économiques serait-on tenté de penser. D’un autre côté, nous avons droit à une double distribution puisque chaque rôle est tenu à la fois par un comédien et un chanteur, qui alternent voire coexistent en scène, d’ailleurs fort habilement, sans risque de confusion, grâce à une mise en scène parfaitement lisible.


Au premier acte, on a surtout l’impression d’assister à une pure représentation théâtrale, tant la musique semble limitée à la portion congrue. Malgré des coupures, et quelques scènes remplacées par une narration en voix off et de brèves projections cinématographiques imitant le noir et blanc et l’esthétique du muet, l’action peine un peu à captiver au début. Au fil des actes elle devient de plus en plus prenante, les passages instrumentaux et les airs lyriques venant judicieusement prolonger les émotions : Psyché étourdie d’amour, puis en proie aux doutes, et enfin se lamentant d’être précipitée aux enfers. Au final, cette version composite se révèle un spectacle très réussi et très touchant.


Les costumes transposent l’action vers 1900, avec une libre navigation entre de belles robes très Belle Epoque proustienne, et d’autres plus « années folles ». Ainsi Zéphyr en pionnier de l’aviation enlève Psyché sur un aéroplane dont nous n’entendons que le vrombissement, parmi une multitude de bruitages amusants. La mise en scène de Julien Balajas joue à prendre le contrepied du style tragique, par des mimiques et des gestuelles comiques. Le Jupiter de Guy Lamarque, à demi dévêtu courant après une soubrette en porte-jarretelles semble ainsi échappé d’un Offenbach de Jérôme Savary ! Cette inventivité se retrouve dans la déclamation des acteurs, donnant parfois un tour familier aux sévères alexandrins. Au début, le spectateur peut trouver ces libertés et ces détournements un brin gratuits, mais finalement, ils confèrent beaucoup de charme et de vie à une pièce qui autrement pourrait nous paraître quelque peu ampoulée. Au fond Julien Balajas incarne la revanche du vrai talent de Molière sur ses tentatives de s’adonner au style « sérieux », lui qui à l’époque avait été jugé aussi piètre tragédien que formidable comédien.


Les acteurs de la Compagnie du Griffon s’avèrent aussi impeccables que les musiciens de la Compagnie Les Bijoux indiscrets de Claire Bodin, qui les dirige du clavecin, tous sur instruments anciens. Avec quatorze exécutants seulement, ils se sont efforcés de recréer « l’essence de l’orchestre baroque ». L’excellente acoustique de ce joyau qu’est la salle de l’Opéra de Toulon permet de réussir ce pari. Les chanteurs possèdent chacun exactement la voix et le style qui conviennent au rôle, ce qui attise un peu notre regret de ne pas avoir droit à l’intégralité de la tragédie lyrique. Parmi cette distribution très homogène, nous retiendrons tout particulièrement les deux sopranos Eugénie Warnier (dans le rôle-titre), et Lina Yang, dont les timbres délicieusement acidulés et la diction précise font merveille dans l’opéra français du XVIIe siècle. Notons enfin que si la chorégraphe et danseuse Sarah Berreby assume l’essentiel de la dimension dansante, les acteurs et les chanteurs viennent tour à tour lui prêter main forte avec quelques entrechats, lorsque ce ne sont pas quelques instrumentistes de l’orchestre qui montent sur scène, par exemple pour une musique de déploration funèbre, en un curieux mélange des genres qui réalise à sa manière un forme d’« art total ».



Philippe van den Bosch

 

 

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