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Un élixir bonifié Paris Opéra Bastille 10/10/2009 - et 12, 15*, 17, 20, 23, 25 octobre 2009 Gaetano Donizetti : L’elisir d’amore Anna Netrebko*/Tatiana Lisnic (Adina), Giuseppe Filianoti/Charles Castronovo* (Nemorino), George Petean (Belcore), Paolo Gavanelli (Il Dottor Dulcamara), Jaël Azzaretti (Giannetta)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Paolo Arrivabeni (direction)
Laurent Pelly (mise en scène) A. Netrebko (© Opéra national de Paris/Sébastien Mathé)
Après Wozzeck et Le Barbier de Séville, L’Elixir d’amour: Nicolas Joel puise avec discernement dans les productions de son prédécesseur. La partition de Donizetti souffrait cependant d’une distribution inégale, avec une Heidi Grant Murphy au format de petite soubrette et un Laurent Naouri mal chantant au possible. Anna Netrebko et George Petean bonifient le breuvage. On ne demandera certes pas à la chanteuse russe une science des couleurs belcantiste ou un timbre de velours : elle ne les aura jamais. Mais la technique est sûre, la vocalise déliée, la tessiture homogène, l’émission encore assez souple pour assurer des aigus piano - jusqu’au contre-ut. Et voilà une vraie Adina, piquante, boudeuse, prise à son propre jeu. George Petean prête au sergent fanfaron et macho une belle voix capable d’aigus triomphants – il couronne son air d’entrée d’un la aigu -, il sait surtout phraser en conciliant le comique du personnage et l’élégance du style, notamment quand le tempo impose de l’agilité, ce que nous avait déjà appris son Figaro. Remplaçant Giuseppe Filianoti après avoir la veille chanté Mireille, Charles Castronovo est impayable en pantin dégingandé, comme s’il avait fait ses classes à Broadway, plus souple scéniquement que Paul Groves. Si la voix reste modeste et ne se projette pas toujours comme on le souhaiterait, en particulier au début, le timbre ne manque pas de charme et le ténor a, lui aussi, du style, avec de jolies nuances – exquise fin d’« Una furtiva lagrima », d’abord un peu prosaïque. Si Paolo Gavanelli, plus sombre de timbre, ne fait pas oublier l’aisance stupéfiante d’Ambrogio Maestri en Dulcamara, notamment dans le chant syllabique rapide, il en renouvelle un peu l’approche, plus retenu dans le comique, presque inquiétant au premier acte, plus ambigu dans la roublardise. Et n’oublions pas la pimpante Giannetta de Jaël Azzaretti.
Paolo Arrivabeni ne séduit guère au premier acte, où l’élixir a perdu son bouquet : la baguette pèse, se trouve plus d’une fois décalée par rapport à la scène - on a également connu le chœur en meilleure forme. Après un finale laborieux, tout s’améliore heureusement au second acte, où la direction gagne en finesse et en vivacité, à l’unisson de la mise en scène de Laurent Pelly, toujours aussi pétillante. La production a même sans doute été revue, gagnant en précision dans la direction d’acteurs, plus proche encore de la musique ; bref, elle s’est bonifiée de son côté – passons sur quelques vulgarités superflues du côté de Belcore. L’opera comica de Donizetti franchit désormais sans complexe les frontières de la comédie musicale, avec d’autant plus de bonheur que les deux protagonistes brûlent les planches. On s’y déhanche, pas seulement à la noce, dans une chorégraphie impeccablement réglée. Et la transposition dans l’Italie rurale d’après guerre façon Vittorio de Sica, où les grillons chantent, où un petit chien aboyeur traverse la scène et où l’on croque la vie à mobylette, fonctionne parfaitement. Le metteur en scène, surtout, évite la lourdeur sans bannir la poésie – le ciel s’étoile pendant « Una furtiva lagrima ». Nous avions par deux fois goûté cet élixir : on en reprend ici avec un grand plaisir.
Didier van Moere
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