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Toulouse au Walhalla

Toulouse
Théâtre du Capitole
04/30/1999 -  et 2, 4, 7, 9 mai 1999
Richard Wagner : Die Walküre
Kim Begley (Siegmund); Attila Jung (Hunding); James Morris/Simon Estes (Wotan); Margaret Jane Wray (Sieglinde); Karen Huffstodt (Brünnhilde); Nadine Denize (Fricka)
Orchestre du Capitole, Pinchas Steinberg (direction)
Nicolas Joël (mise en scène), Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes)

Monter la Tétralogie à Toulouse est un vieux rêve de Nicolas Joël - mais aussi de tous les toulousains amateurs de Wagner - et il semble qu’un premier pas ait été accompli avec cette Walkyrie. Espérons que le succès de ces représentations -le théâtre affichait complet depuis plusieurs semaines- incitera le maître des lieux à récidiver le plus vite possible!
Il faut avant tout saluer l’absolue beauté des décors, des costumes, des éclairages et des effets spéciaux, qui prouvent que le théâtre du Capitole est capable, lorsqu’il s’en donne la peine, de rivaliser en faste avec des théâtres bien plus importants.
Bien que Nicolas Joël ait été l’assistant de Patrice Chéreau à Bayreuth leurs mises en scène sont très dissemblables, à l’exception du premier acte où certains éléments peuvent être rapprochés, comme l’utilisation de costumes inspirés du XIX° siècle ou la disposition des décors. Loin de se livrer à une quelconque relecture des mythes, il semble avant tout avoir voulu illustrer les conflits humains décrits par Wagner, tout en rendant aux dieux une indéniable grandeur et une vraie majesté.
Les décors, vraiment somptueux, aident particulièrement bien à rendre l’atmosphère sombre et grandiose du monde de la divinité. Au deuxième acte, un escalier monumental flanqué de chaque côté d’une statue de Grane et du char de Fricka tiré par deux béliers résout habilement le problème de la représentation de ces animaux symboliques; de même, au troisième acte, un arc de triomphe sommé d’un groupe statuaire représentant des chevaux en pleine course -rappelant beaucoup la Porte de Brandebourg- figure la chevauchée des walkyries. Le vrai tour de force est que, malgré l’exiguïté du plateau, ces décors laissent cependant une place suffisante aux déplacements des acteurs et donnent une sensation d’espace inhabituelle sur cette scène.
Les costumes sont aussi pour beaucoup dans cette impression de somptuosité, tous les personnages ayant fière allure -exceptée Siegliende peu mise en valeur- notamment les walkyries qui évoquent quelques vierges guerrières préraphaélites, avec leurs armures argentées, leur teint lactescent et leur longue chevelure rousse bouclée.
Enfin, il faut signaler des effets spéciaux très réussis, comme la brusque apparition spectrale de Brünnhilde à Siegmund à l’acte II ou, à la toute fin de l’opéra, l’embrasement des décors dans une lumière d’un pourpre soutenu, renforcé par un vrai rideau de feu.
Tout cela fait de cette Walkyrie une incontestable réussite visuelle et l’on ne peut que saluer l’art du décorateur et de la costumière ; mais cela ne serait rien sans des chanteurs pleinement investis dans leurs rôles. Or, quels que soient les reproches que l’on puisse faire à une distribution vocale parfois contestable, il faut féliciter les acteurs pour la sincérité et l’intensité de leur jeu, chacun faisant des efforts manifestes pour donner le meilleur de lui-même.
Seul le premier acte est un peu en deçà de cette excellente impression d’ensemble par son manque de dramatisme et quelques maladresses de mise en scène avec le Hunding plutôt sommaire d’Attila Jun et une Sieglinde appliquée mais guère spontanée.
En effet, Margaret Jane Wray, quoique très acclamée, n’est peut-être pas la révélation attendue par certains. Assez malhabile dramatiquement -il faut dire que son embonpoint n’aide guère à l’identifier à son rôle- elle semble avoir du mal à canaliser une voix puissante mais parfois criarde, malgré des efforts visibles pour atténuer les stridences de son timbre. De plus, le souffle lui fait quelquefois défaut dans les tenues, ce qui a valu quelques aigus un peu faux. Mais l’interprète est jeune et ces problèmes pourront certainement se corriger.
En revanche, le Siegmund de Kim Begley échappe lui à toute critique. Avec une voix très séduisante, d’une puissance modérée bien que suffisante, il s’impose avec beaucoup d’évidence dans le rôle du fils malchanceux de Wotan auquel il donne une intériorité et un pathétisme bouleversants, même si l’on aurait pu souhaiter un premier acte plus bouillonnant. Mais que ses accents déchirés et résignés du second acte sont poignants!
Karen Huffstodt a bien mal commencé sa prestation, massacrant totalement son “Hojotoho” le jour de la première, ce qui lui a valu les huées de quelques spectateurs. Mais elle se rattrape fort bien par la suite et , même si elle ne saurait affronter le souvenir de ses plus illustres devancières, elle offre une Brünnhilde très crédible à condition de passer sur une voix parfois un peu courte. Cependant, on gagne en vie dramatique ce que l’on perd en qualité vocale car elle se révèle actrice attachante, spontanée, dotée d’un physique juvénile très avenant, bien souligné par un costume particulièrement seyant. Face à cette Brünnhilde séduisante et ardente on comprend le trouble ambigu de Wotan et la jalousie de Fricka.
Le rôle de la déesse impérieuse est fort bien servi dramatiquement et vocalement par Nadine Denize, pour peu qu’on lui pardonne son défaut de diction. Sa véhémente apparition s’oppose avec beaucoup de relief à la résignation douloureuse et irritée de Wotan.
Wotan, enfin, est admirablement interprété par James Morris, qui fait du Dieu des dieux le personnage le plus marquant de cette représentation. On ne sait que louer, de la noblesse du timbre, de la puissance d’une voix qui sait aller du murmure au tonnerre le plus fracassant, ou de la stature imposante d’un acteur charismatique! On ne peut qu’être subjugué par l’autorité qui émane de ce Wotan tout à la fois terrible et torturé, imposant et si humain, qui rappelle le souvenir des grands chanteurs wagnériens du passé et prouve que la race divine n’est pas éteinte! Chaque mot est pesé, chaque geste épouse une intention du chant, on sent dans cette incarnation une longue fréquentation et une compréhension authentique du rôle. James Morris campe un Wotan tout simplement électrisant!
Hélas! James Morris, annoncé souffrant, n’a chanté que deux représentations avant d’être remplacé pour les trois dernières par Simon Estes. À bout de voix, totalement égaré dans la mise en scène, incapable de chanter un rôle qui lui échappe musicalement et dramatiquement, le chanteur américain a compromis par sa prestation catastrophique le succès de cette production. Autant le Wotan de James Morris s’intègre parfaitement à une mise en scène d’ensemble très réussie, autant Estes semble déconcerter ses partenaires par ses déplacements erratiques, incohérents et ses gestes caricaturaux. Totalement absent, il prive cette Walkyrie de toute essence divine et les décors paraissent soudain bien vides.
Les raisons de ce remplacement paraissent incompréhensibles étant donné l’état vocal de ce chanteur et l’on se demande s’il n’aurait pas mieux valu attribuer le rôle à la doublure initialement prévue qui, certes, est inconnue mais avait tout au moins le mérite de bien connaître la mise en scène.
Enchaînant la hâte à la mollesse, Pinchas Steinberg manque totalement de dynamisme réel, de mordant et de lyrisme, ponctuant le discours musical plus qu’il ne soutient l’action. Par le manque d’intensité de sa direction, le chef israélien est en grande partie responsable de l’inertie du premier acte. Il faut dire que l’orchestre du Capitole ne s’est pas toujours montré sous un jour très glorieux car, même si la puissance sonore était satisfaisante pour un formation réduite, de nombreux “pains” sont venus déparer les moments spectaculaires, la troisième représentation étant même à cet égard un véritable ratage. Cela est fort dommage car avec un autre chef le spectacle aurait été tout simplement magistral.
Telle quelle -et seulement avec un Wotan de l’envergure de James Morris!- cette production est cependant une incontestable réussite, qui donne hâte de voir la suite du projet de Nicolas Joël se réaliser.



Laurent Marty

 

 

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