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Drôle de paroissien Saint-Céré Bretenoux (Eglise) 07/30/2009 - et 4 (Beaulieu-sur-Dordogne), 14* (Meyssac) août 2009 Kurt Weill : Complainte de Mackie (*), Ballade de la bonne vie (*) et Jenny des corsaires (#) (extraits de «Die Dreigroschenoper») – Complainte de la Seine (#) – It never was you (#) et September Song (*) (extraits de «Knickerbocker Holiday») – Speak low (*) et I’m a stranger here myself (#) (extraits de «One touch of Venus») – Berlin im Licht (#) – Und was bekam des Soldaten Weib? (*) – J’attends un navire (#), Les Filles de Bordeaux (*), Youkali (* #), Train du ciel (#) et Le grand Lustucru (*) (extraits de «Marie Galante») – Wie lange noch? (#) – Stay well (extrait de «Lost in the Stars») – Bilbao-Song (*) et Surabaya-Johnny (#) (extraits de «Happy End») – Air de Séverin (*) (extrait de «Der Silbersee») – Es regnet (#) – Je ne t’aime pas (*) Sarah Laulan (#) (soprano), Eric Perez (*) (baryton), Sandrine Abello (piano)
Trois des artistes du Festival de Saint-Céré, participant aux principales productions de cette édition, se retrouvent autour d’un récital Kurt Weill: Eric Perez, renouant ici avec l’ambiance du spectacle «Berlin années 20!» dont il est l’un des boys (voir ici), a par ailleurs mis en scène La Flûte enchantée, où Sarah Laulan tient le rôle de Papagena (voir ici), et ils sont accompagnés par Sandrine Abello, l’une des deux pianistes des Carmina burana (voir ici).
Ce tour de chant de près d’une heure et demie sans entracte, assorti de quelques jeux de scène et accessoires, est proposé à trois reprises dans différentes églises du Lot et de Corrèze: si elle aurait sans doute amusé le compositeur, la venue de ce drôle de paroissien, entouré de ses mauvais garçons et de ses filles-de-joie, pourrait sembler incongrue dans des édifices religieux, voire choquer. Lisant un préambule dont les acrobaties dialectiques conduisent quand même à se demander si c’est du lard ou du cochon, Eric Perez ne nie pas l’hiatus et prend soin de déminer la situation: ces chansons sont «le reflet d’une période où les hommes s’égarent» et ce cadre est donc le plus approprié pour «retrouver la sérénité». Ouf! – la morale est sauve. Pour l’acoustique, c’est une autre histoire, car de ce point de vue, la belle église romane Saint-Vincent de Meyssac, où était donné le dernier concert de la série, ressemble furieusement à un hall de gare.
Les vingt-deux étapes du parcours, sans suivre l’ordre indiqué dans le programme, mêlent numéros en allemand et en anglais, dont certains sont traduits, et textes originaux en français – sur le chemin de l’exil hollywoodien, Weill s’arrêta près de deux ans à Paris: cette période française est particulièrement bien représentée, notamment grâce à cinq des dix pièces qu’il écrivit pour la pièce Marie Galante (1934) de Jacques Deval – «Les Filles de Bordeaux», «J’attends un navire», «Train du ciel», «Le grand Lustucru» et «Youkali» – mais aussi Il pleut (1933) sur un texte (en allemand) inspiré par Cocteau, Complainte de la Seine (1934) et Je ne t’aime pas (1934), écrits pour Lys Gauty. Au-delà, le choix se caractérise par une heureuse diversité: songs provenant de comédies musicales, bien sûr, à commencer par L’Opéra de quat’sous (1928) – avec la «Complainte de Mackie», «Jenny des corsaires», la «Ballade de la vie agréable» et, en bis et en duo, la «Ballade du souteneur» – ou «It never was you» et «September Song» extrait de Knickerbocker Holiday (1938), mais aussi mélodies isolées, non moins intéressantes, comme le brechtien Que reçut la femme du soldat? (1942) et Combien de temps encore? (1944).
Toutes les époques sont à l’honneur, depuis Berlin dans la lumière (1928), encore dans l’esprit de Quat’sous, sur un texte de Weill lui-même, jusqu’à l’ultime «Stay well» extrait de Perdu dans les étoiles (1949). Et les pages célèbres – «Bilbao» (dans la traduction de Boris Vian immortalisée par Montand) et «Surabaya-Johnny», extraits de Happy End (1929) – côtoient de moins connues: l’air de Séverin «Der Bäkker backt ums Morgenrot» extrait du Lac d’argent (1933), dont Perez assura la création française voici près de dix ans, ou bien «I’m a stranger here myself» et «Speak Low» extraits de Signé Vénus (1943).
Différents par leur formation comme par leurs expériences respectives, Eric Perez et Sarah Laulan se complètent harmonieusement. Un peu moins à l’aise en allemand ou dans les œuvres de caractère plus ambitieux, il s’impose en revanche sans conteste par ses qualités de diseur et d’acteur. Quant à elle, ayant troqué les plumes jaunes de Papagena pour une robe rouge à volants et de longs gants noirs, elle tente parfois d’adopter un genre plus canaille mais ne renonce pas pour autant aux fastes de la diva, dans un style parfois presque trop fleuri pour la sécheresse et l’ironie de Weill, qui évoquent davantage Hindemith ou Mahler que Puccini.
Simon Corley
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