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C’est beau une citadelle, la nuit Sisteron Théâtre de la citadelle 07/30/2009 - Leonard Bernstein: Danses symphoniques de «West Side Story»
George Gershwin : Rhapsody in blue
Antonín Dvorák : Symphonie n° 9 «Du nouveau monde», opus 95, B. 178
Frank Braley (piano)
Orchestre philharmonique de Nice, Klaus Weise (direction)
Voici plus de quatre-vingts ans que la grandiose citadelle de Sisteron abrite des manifestations culturelles. C’est le théâtre qui eut d’abord droit de cité, mais Mireille et Carmen y furent représentés respectivement dès 1934 et 1938. Transformé en prison durant la Seconde Guerre mondiale et lourdement endommagé par les bombardements, ce site d’exception ne se rouvrit à des spectacles dramatiques qu’en 1956. Depuis 1960, l’association Arts, Théâtre, Musique (ATM), sous la houlette de Pierre Colomb et aujourd’hui présidée par Edith Robert, s’assigne deux missions, grâce au soutien de bénévoles sans lesquels, comme en bien d’autres endroits, rien ne serait possible: la sauvegarde du patrimoine monumental et artistique de la ville, sur délégation de la commune, et, chaque été, l’organisation du festival, qui prend le nom de «Nuits de la citadelle». La musique reprend dès 1961 ses droits en divers lieux (château de la Cazette, cathédrale romane Notre-Dame des pommiers, cloître Saint-Dominique), mais, précédée de la danse, n’investit la citadelle que dans les années 1970. Et la liste des artistes qui, en près d’un demi-siècle, ont honoré de leur venue la «porte de la Provence» a de quoi impressionner: de Cziffra à Menuhin en passant par Victoria de Los Angeles, les frères Capuçon, Barbara Hendricks, Nikolaï Lugansky, Jean-Pierre Rampal, Vadim Repin, le Quatuor Borodine, le Gewandhaus de Leipzig, le chœur accentus, ...
Du 21 juillet au 7 août, la cinquante-quatrième édition propose six spectacles, dont quatre de caractère musical: «Une soirée chez Mozart» avec l’Académie baroque européenne d’Ambronay et le Parlement de musique a ouvert le festival au cloître, où Laurent Korcia se produira dans un programme «Un violon au cinéma», tandis que c’est à la cathédrale que Michel Corboz dirigera la Messe en si mineur de Bach. Associant trois tubes du classique composés aux Etats-Unis, la «Nuit américaine» à laquelle l’Orchestre philharmonique de Nice convie le public se déroule quant à elle au pied de la citadelle: d’imposants gradins, pouvant accueillir 1500 spectateurs, font face à la haute muraille, qui, à la nuit tombante, se détache du ciel dans une vision de carte postale. Cette situation privilégiée contribue à faire rapidement oublier les contraintes habituelles du plein air, comme ce son qui a tendance à se dissiper, notamment au détriment des cordes mais aussi du piano. Et puis il y a les rafales de vent qui soulèvent des nuages de poussière derrière la scène: elles excèdent tant Klaus Weise qu’il finit par jeter par terre sa partition, tandis qu’elles contraignent les musiciens à de multiples acrobaties pour empêcher les feuilles de voler, avec l’aide de pinces à linge, mais aussi, à l’occasion, du chef et du soliste, qui n’hésitent pas à apporter leur concours aux pupitres des premiers et seconds violons situés à portée de main.
K. Weise (© René Galvez)
Premier chef invité de l’Orchestre philharmonique de Chine et de l’Orchestre symphonique de Bilkent (Ankara), Weise retrouve ici une formation dont il fut le directeur musical de 1990 à 1997. Son successeur, Marco Guidarini, en poste depuis 2001, a annoncé le 16 juillet dernier qu’il quitterait ses fonctions à la prochaine rentrée, justifiant sa décision par le fait qu’il «ne partageait pas le projet de mutualisation des orchestres philharmonique de Nice et Cannes Provence-Alpes-Côte-d’Azur […], inadapté à l’intérêt» de la formation niçoise, qu’il estime avoir «hissée au niveau de label national». Est-ce parce que l’orchestre aborde ainsi un moment délicat et incertain de son histoire? En tout cas, il avoue d’emblée ses limites dans les Danses symphoniques de «West Side Story» (1957): mise en place douteuse, sonorité peu flatteuse, qualité instrumentale déficiente, on sait d’autant moins à quoi se raccrocher que la direction manque de peps, défaut pour le moins rédhibitoire pour interpréter l’œuvre de Bernstein.
Dans Rhapsody in blue (1924) de Gershwin, Frank Braley n’a pas besoin de forcer son talent, puisque la version pour piano seul figure tant à son répertoire qu’à sa discographie (voir ici), et livre une prestation fantasque, comme à son habitude, entre générosité de l’expression, second degré et virtuosité assumée. Après l’entracte, Weise ne démérite nullement dans la Neuvième symphonie «Du nouveau monde» (1893) de Dvorák, mais sa lecture d’une grande probité, sans emphase ni pathos ni effets de manches, bute sur les désolantes carences de l’orchestre. Il ne servirait à rien de faire semblant de se cacher derrière son petit doigt, car il est de l’intérêt tant des Nuits de la citadelle que de la Philharmonie de Nice d’appeler un chat un chat. Cela étant, sous la voûte étoilée, à la fraîche, la magie du cadre, qui n’a pas grand-chose à envier au Théâtre antique d’Orange, offre amplement de quoi se consoler: une telle soirée ne peut donc laisser un mauvais souvenir, dans l’attente de la venue de Corboz et Korcia, qui, à n’en point douter, seront quant à eux à la hauteur de la réputation du festival.
Le site des Nuits de la citadelle
Le site de l’Orchestre philharmonique de Nice
Simon Corley
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