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Tableaux, exposés ou non Paris Hôtel de Soubise 07/17/2009 - Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 30, opus 109
Maurice Ravel : Gaspard de la nuit
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition
Dimitri Demiashkin (piano)
D. Demiashkin
Lorsque les conditions météorologiques ne permettent pas de profiter des charmes du plein air dans la cour de Guise, le Festival «Jeunes talents» se replie, toujours à l’Hôtel de Soubise, dans la salle des gardes. L’oreille n’y perd pas, car l’acoustique est au moins aussi bonne, tandis que l’œil ne souffre plus comme par le passé de la vision de Typus religionis: en effet, l’imposante peinture sur bois (XVIe) qui domine la scène, saisie en 1762 dans la chapelle du collège jésuite de Billom et représentant la nef de la Foi gouvernée par les ordres religieux, Jésuites en tête, est désormais dissimulée par un grand rideau blanc. Bref, pas d’exposition de tableaux pour présider aux Tableaux d’une exposition.
C’est dans ce cadre que Dimitri Demiashkin donne un récital au programme pour le moins costaud. Né en 1982 en Russie mais résidant désormais en Suisse, où il a étudié avec Konstantin Scherbakov et Homero Francesch, il a obtenu le deuxième prix au Concours Alessandro Casagrande (2006) puis le troisième prix au Concours Beethoven de Bonn (2007). Dès la Trentième sonate (1822) de Beethoven, il déploie un jeu allant, très articulé, soucieux de faire ressortir les différentes voix, animé par un véritable plaisir digital en même temps que par une sorte de distance expressive: s’il ne dévoie jamais ses impressionnants moyens techniques, il a toutefois quelque mal à habiter certaines des variations du dernier mouvement. Clarté, refus des effets, voire des épanchements, voilà qui ne peut nuire dans Ravel: non seulement il maîtrise l’extrême difficulté de Gaspard de la nuit (1908), mais il réalise un remarquable travail sur les plans sonores dans «Le Gibet» et offre un «Scarbo» puissant mais sans tapage, plus véloce et inflexible que romantique ou effrayant.
Entre Ravel et Moussorgski, le lien est étroit: non seulement le premier a orchestré les Tableaux d’une exposition (1874) du second, mais «Scarbo» appartient à la même famille que «Gnomus», tandis que le si bémol lancinant du «Gibet» renvoie au sol dièse d’«Il vecchio castello». A la fois athlète et gourmand, Demiashkin dévore avidement la partition, au point se laisser parfois griser par son aisance devant le clavier, confondant vitesse et précipitation dans «Gnomus», «Ballet des poussins dans leurs coques» (bousculé, comme des oisillons affolés), «Limoges. Le Marché» et «La Cabane sur des pattes de poule», au détriment de la qualité de la réalisation. Il convainc en revanche davantage dans les pages de caractère moins brillant, plus massif («Samuel Goldenberg et Schmuyle», «Catacombes», «La Grande Porte de Kiev»), peut-être parce que le respect du tempo s’y impose davantage. Ailleurs, il s’autorise quelques fantaisies, voire des libertés avec le texte, notamment avec les nuances dynamiques, comme dans «Bydlo», qu’il ne débute pas ff: comme dans l’orchestration de Ravel, la pièce décrit un crescendo puis un diminuendo, au demeurant très réussis.
Les deux bis reflètent les contradictions de ces Tableaux, entre la virtuosité de l’adaptation (1977) par Mikhaïl Pletnev du «Pas de deux» du second acte de Casse-noisette (1892) de Tchaïkovsky et les excès démonstratifs de la Huitième (1829) des Etudes de l’Opus 10 de Chopin.
Simon Corley
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