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Soirée magique London Covent Garden 07/04/2009 - et 7*, 10, 13, 15, 18 juillet 2009 Gioachino Rossini: Il Barbiere di Siviglia
Pietro Spagnoli (Figaro), Joyce DiDonato (Rosina), Juan Diego Flórez*/Colin Lee (Conte Almaviva), Alessandro Corbelli (Dottor Bartolo), Ferruccio Furlanetto (Don Basilio), Changhan Lim (Fiorello), Jennifer Rhys-Davies (Berta), Bryan Secombe (Ambrogio), Christopher Lackner (Un ufficiale), Andrew Macnair (Un notario)
Chœur du Royal Opera House, Renato Balsadonna (direction), Orchestre du Royal Opera House, Antonio Pappano*/Paul Wynne Griffiths (direction musicale)
Patrice Caurier, Moshe Leiser (mise en scène), Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumières)
Joyce DiDonato (© Neil Gillespie)
Certaines soirées d'opéra sont tout simplement magiques. La deuxième représentation du Barbier de Séville à Covent Garden est de celles-là, tant l’électricité et l’émotion étaient palpables sur scène comme dans la salle. Lors de la première, Joyce DiDonato a fait une chute en glissant; croyant à une banale foulure de la cheville, la mezzo-soprano a tenu à terminer la soirée, à l’aide d’une canne. Transportée à l’hôpital au baisser de rideau, elle a appris par les médecins qu’elle s’était cassé la jambe. Qu'à cela ne tienne: déterminée à assumer ses engagements, elle a déboulé sur le plateau mardi soir dans une chaise roulante, qui a été intégrée en un temps record à la mise en scène. Ainsi, lorsque Rosine se plaint à Figaro d’être enfermée à longueur de journée, elle pointe du doigt avec véhémence sa «cage ambulante». Ou encore, lorsque le barbier signifie à la jeune fille qu’Almaviva est de retour, il s'exclame non pas «a due passi» (à deux pas), comme le veut le livret, mais «a due ruote» (à deux roues), déclenchant l’hilarité du public. Et quand Rosine tend sa jambe plâtrée à son tuteur pour lui indiquer qu’elle a «un granchio al piè» (une crampe), l’effet comique est assuré. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Joyce DiDonato n’a pas semblé le moins du monde indisposée par son accident scéniquement et vocalement, déployant une énergie époustouflante à se mouvoir avec habileté sur le devant de la scène, à trépigner sur son fauteuil, n’hésitant pas à se lever parfois, et affichant une superbe technique et une virtuosité sans faille, livrant de splendides variations de sa belle voix de velours. Son Una voce poco fà a été accueilli par une salve d’applaudissements.
Ses partenaires semblaient tout aussi excités qu’elle à l’idée de devoir composer et improviser avec le fauteuil roulant. Vocalement parlant, le Royal Opera House a réussi l’exploit de former une distribution difficilement égalable aujourd’hui. Juan Diego Florez vaut le déplacement à lui tout seul. Parfait styliste, le ténor péruvien - dont la voix a gagné en consistance - fait fi des vocalises les plus ardues avec une aisance et un naturel déconcertants. S’offrant le luxe de se lancer dans l’air Cessa di più resistere - qui peut se révéler fatal pour ses interprètes -, il a déclenché une ovation comme rarement entendue à Londres. Qui plus est, le chanteur dévoile des talents d’acteur qu’on ne lui connaissait pas, notamment lors de la scène où il pénètre chez Bartolo déguisé en soldat, et surtout passablement éméché. Remplaçant Simon Keenlyside, Pietro Spagnoli souffre quelque peu de la comparaison avec les deux chanteurs exceptionnels que sont Joyce DiDonato et Juan Diego Florez. Son Figaro dénote néanmoins la grande expérience et la veine comique de l’interprète. On retiendra surtout le tempo hallucinant de son «Sono il factotum della città», une véritable prouesse vocale. Alessandro Corbelli campe pour sa part un Bartolo pétri d’humanité, à l’opposé de la caricature du tuteur grotesque et imbu de lui-même. Ferruccio Furlanetto est un Basile particulièrement sonore, et la voix accuse désormais le poids des ans. Il faut tout de même saluer l'exploit de l'air de la calomnie, chanté debout sur les accoudoirs d'un fauteuil. Et on ne saurait passer sous silence la belle performance de Jennifer Rhys-Davies dans le rôle de Berta.
Cette production parfaitement rodée et truffée de gags est une reprise d'une création de 2005. Le dispositif scénique se caractérise par une grande boîte rectangulaire aux multiples trappes qui, à la fin du premier acte, se soulève de plusieurs mètres et bascule de haut en bas et de gauche à droite, comme en apesanteur. L'effet est saisissant et semble en accord parfait avec la direction légère et aérienne d’Antonio Pappano. Il ne reste plus qu’à espérer que les caméras dans la salle auront immortalisé cette soirée d’anthologie.
Claudio Poloni
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