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Dresde redécouvre Teofane Dresden Residenzschloss 05/27/2009 - Antonio Lotti : Teofane Andreas Taubert (Ottone), Jutta Böhnert (Teofane), Emireno (Kay Stiefermann), Tamara Gura (Gismonda), Robert Crowe (Adelberto), Britta Schwarz (Matilda), Christian Zenker (Isauro)
Jobst Schneiderat (clavecin), Stefan Maass (luth), Andreas Priebst (violoncelle), Dresdner Kapellsolisten, Helmut Branny (direction) H. Branny (© Matthias Creutziger)
Dresde, 13 septembre 1719 : pour le mariage du prince héritier de Saxe Frédéric-Auguste II, futur roi de Pologne, avec l’archiduchesse autrichienne Maria-Josepha, le Hoftheater, flambant neuf, crée Teofane du vénitien Antonio Lotti, un dramma per musica en trois actes. Une histoire de trahison politique et d’usurpation d’identité comme on en raffolait à l’époque, avec lieto fine où le monarque éclairé, en l’occurrence le roi de Germanie Ottone, épouse sa promise Teofane, fille de l’empereur de Romanos II de Byzance, et se montre clément envers les félons. Une façon, évidemment, de célébrer les vertus du souverain saxon et les splendeurs de sa cour : on ne s’étonnera pas d’entendre, pour saluer Ottone, des trompettes et des timbales. A l’affiche, de grands noms du chant d’alors, en particulier les castrats Francesco Bernardi - le célèbre Senesino - et Matteo Berselli, la basse Giuseppe Boschi, la soprano Margherita Durastanti, tandis que le rôle titre était confié à la femme du compositeur. Haendel apprécia si fort le spectacle qu’il s’empara plus tard du livret pour son propre Ottone et, surtout, emmena la troupe à Londres : Senesino, Boschi et la Durastanti se retrouvèrent en 1723 pour la création au King’s Theatre du dramma per musica haendelien.
La partition s’avère riche, tant orchestralement que vocalement. Dès l’Ouverture, certains instruments accèdent au statut de soliste. Ils peuvent aussi rivaliser avec la voix dans des airs concertants, comme, au deuxième acte, le luth dans celui d’Adelberto ou, au troisième, le violon dans l’air d’entrée d’Ottone. La musique épouse le drame, caractérise les personnages et leurs affetti, avec d’ailleurs une assez grande liberté : le seria naissant ne s’est pas encore figé dans ses codes et la virtuosité reste relativement sobre, Lotti se trouvant un peu à la charnière entre deux esthétiques. On ne souffre pas d’entendre une version de concert dans la cour du château. Reste à savoir si l’œuvre susciterait le même intérêt donnée intégralement : on a ici pas mal abrégé les récitatifs. A la tête des excellents Dresdner Kapellsolisten, membres de la Staatskapelle ou de la Philharmonie, Helmut Branny imprime à l’opéra de Lotti un bel élan, plus soucieux d’équilibre dans les tempos et les couleurs que d’authenticité à tout prix : un baroqueux bien tempéré, en quelque sorte. A Dresde, c’est un peu l’usage : un Peter Schreier, dans Bach, optait pour une telle synthèse.
La distribution satisfait plutôt. Remplaçant Matthias Rexroth malade, l’Ottone d’Andreas Taubert joue de malchance alors qu’il sauve la soirée : il est souffrant lui aussi. On ne lui en veut donc pas de ce souffle un peu court, de ce timbre un peu blanc, d’une vocalisation un peu laborieuse, et l’on n’ose imaginer ce que faisait Senesino dans le rôle. On le préfère en tout cas à l’Adelberto du sopraniste Robert Crowe, handicapé par une voix ingrate sans la moindre rondeur, des aigus forcés, un style rien moins que belcantiste, de quoi faire regretter à chaque instant l’absence d’un soprano, alors que Berselli, paraît-il, enchantait le public par sa pureté cristalline. Rien à regretter, en revanche, dans le remplacement, pour Isauro, du ténor Nicholas Sales par Christian Zenker : le timbre est joli, l’émission souple, la tessiture homogène, la colorature facile. De même, Kay Stiefermann fait valoir en Emireno une belle voix de baryton, au timbre clair et mordant, à la ligne sûre. Chez les dames, pas de faiblesse. Un peu timide au début, Jutta Böhnert s’impose vite comme une Théophane émouvante et juste, au phrasé élégant, avec une variété de couleurs. La Matilda de Britta Schwarz évite le piège tendu aux contraltos confrontés à de grands intervalles : elle veille, sans poitriner dans le grave, à conserver l’homogénéité de la tessiture et de la ligne. C’est peut-être la Gismonda de Tamara Gura, cependant, qui a le plus frappé les esprits : voilà un mezzo bien timbré, sombre mais rond, notamment dans le médium, aux registres impeccablement soudés, qui a à la fois du style et du tempérament, comme en témoigne son aria di furore impeccablement maîtrisée au deuxième acte – la Durastanti, paraît-il, y lançait des éclairs.
Presque trois cents après sa création, cette Teofane méritait bien d’être ressuscitée.
Didier van Moere
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