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Il grandira, il grandira ? Paris Théâtre des Champs Elysées 04/06/1999 - Haendel : Jules César Sara Mingardo (Jules César), Sandrine Piau (Cléopâtre), Laura Polverelli (Cornelia), Hillary Summers (Tolomeo), Brigitte Balleys (Sesto), Robert Expert (Nireno), Roberto Scaltriti (Achilla), Laurent Slaars (Curio)
Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction) Reconnaître en Christophe Rousset un musicien attachant et plein de promesses est devenu un tel leitmotiv parmi les critiques qu'une voix discordante devra bien un de ces jours secouer la béatitude ambiante : qu'il grandisse, notre petit poucet du baroque ! La France a beau compter, en la personne de messieurs Minkowski et Christie, deux artistes d'égal prestige et aux personnalités idéalement contrastées, il n'en resterait pas moins place pour d'autres propositions du même niveau. Les réussites de Christophe Rousset dans certaines pièces mineures du répertoire classique (le Mitridate de Mozart, royalement servi au disque par Natalie Dessay et Cecilia Bartoli) n'excusent pas qu'il nous laisse régulièrement sur notre faim dans les grands chefs d'œuvre baroques. Soyez gentils, faites-nous La Finta Giardiniera, et laissez les grands jouer entre eux, serait-on tenté de conseiller à la sympathique équipe ici rassemblée.
Ce Jules César pâtit il est vrai de la réécriture aberrante commise par Willy Decker pour la production scénique donnée quelques jours auparavant à Montpellier : suppressions, voire permutations des airs ("Da tempesta" arrive avant "Piangero"), coupes sombres dans les parties centrales et les reprises, sans que le drame y gagne en tension ou en pertinence. Rousset entretient d'évidence avec ses musiciens et ses chanteurs une complicité qui confère à l'ensemble bouillonnement rythmique et excitation dynamique. Mais que la technique est pauvre, la mise en place rudimentaire (encore des décalages, après une série de représentations et une tournée), la justesse approximative (une harmonie particulièrement redoutable) ! Le chef pétrit de ses gestes étroits et saccadés une pâte claire mais grumeleuse, trace des lignes sautillantes et précieuses (l'ornementation des reprises, surabondante, tend bizarrement à la consonance harmonique du baroque plus tardif), nous faisant prendre conscience de ce que Jacobs, malgré ses raideurs et son systématisme, recelait en véritable puissance dramatique.
Les chanteurs bénéficient de l'investissement dramatique acquis sur scène, quoique la vedette de la soirée, Sandrine Piau, ait assuré le concert virtuellement sans répétitions (c'est Laura Claycomb qui chantait Cléopâtre à Montpellier). Simplement charmante dans les premiers airs (attaques et fins de phrases ne sont pas assez pleinement timbrées pour susciter l'extase), elle surprend dans les instants les plus dramatiques par l'urgence de son engagement, la variété des couleurs, l'alliance entre une ligne parfaitement contrôlée et une diction frémissante : "Se Pieta" et "Piangero" sont le seuls grands moments de la soirée, avec la petite appoggiature par laquelle elle attaque la reprise du duo. Vite, Almirena, Ginevra, Semele, et quel dommage pour les coupures !
Si tous les autres sont clairement surdistribués, on aime la pure beauté vocale de Sara Mingardo (quel naturel dans l'émission, même si la tessiture est un peu basse et le volume un peu faible, et surtout les longues phrases de César trop exigentes en souffle, en écarts, en intonation) comme les couleurs corsées de Laura Polverelli (trop de vibrato et de sons engorgés, cependant, pour faire une grande Cornelia). Les choses se gâtent avec le Tolomeo d'Hillary Summers, dont les appuis poitrinés dans le grave ne suffisent pas à masquer l'incertitude de tout ce qui se passe au dessus, et virent au cauchemar avec le Sesto de Brigitte Balleys, hoquetant et vociférant entre les registres, et l'Achilla de Roberto Scaltriti, hurlant ses aigus à côté de la note. A oublier, et vite.
Vincent Agrech
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