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Alfano rendu à lui-même

Paris
Théâtre du Châtelet
05/19/2009 -  et 22*, 25, 28, 31 mai
Franco Alfano : Cyrano de Bergerac
Plácido Domingo (Cyrano), Nathalie Manfrino (Roxane), Saimir Pirgu (Christian), Marc Labonnette (De Guiche), Laurent Alvaro (Ragueneau), Franco Pomponi (Carbon/le Vicomte de Valvert), Doris Lamprecht (la Duègne/Sœur Marthe), Christian Helmer (Le Bret), Frédéric Goncalves (Lignière/le Mousquetaire), Gérard Boucaron (Montfleury, comédien)
Orchestre symphonique de Navarre, Chœur du Châtelet, Patrick Fournillier (direction)
Petrika Ionesco (mise en scène, décors et lumières)


(© Marie-Noëlle Robert)


Pauvre Franco Alfano (1875-1954), si souvent réduit au seul achèvement de la Turandot de Puccini, alors qu’il a lui-même composé des chefs-d’œuvre. Inspiré de la célèbre pièce d’Edmond Rostand, son Cyrano de Bergerac en est un. Un de ces opéras qui, comme Le Roi Roger de Szymanowski bientôt présenté à Bastille, ne ressemblent qu’à eux-mêmes, même s’ils ont digéré la musique des autres, aînés ou contemporains, et que les grandes scènes lyriques ont longtemps oubliés. Après sa création romaine en italien, l’œuvre est donnée à l’Opéra-Comique en mai 1936 avec le même José Luccioni, suivant de peu la première au Palais Garnier d’un autre chef-d’œuvre trop méconnu, l’Œdipe d’Enesco. Padmavâtî de Roussel, Les Fées de Wagner, Cyrano d’Alfano : Jean-Luc Choplin, qu’on peut contester pour ses choix scénographiques, a la main heureuse pour tirer les partitions de l’oubli. Le retour de cette « comédie héroïque » s’imposait d’autant plus qu’il s’agit là, comme l’écrit Gérard Condé dans le programme, du « plus français des opéras italiens », où le compositeur s’adapte parfaitement à la prosodie de notre langue, sans plagier le Debussy de Pelléas, plutôt héritier inventif du dernier Massenet. Et le dernier acte, en particulier la mort du héros, mérite une place parmi les plus grandes réussites, les plus émouvantes en tout cas, du théâtre lyrique. Peu importe alors qu’Henri Cain – un des librettistes de Massenet, justement – n’ait pas retenu la célèbre tirade du nez. Espérons aussi que l’exhumation de Cyrano connaîtra des prolongements : on aurait grand plaisir à (re)découvrir l’orientalisme raffiné de Sakuntala. Et que, au-delà, l’opéra italien, si ce n’est la musique italienne en général, de l’entre-deux guerres, compromis par sa bienveillance pour le fascisme mussolinien, soit regardé d’un peu plus près.


On a beau fustiger le vedettariat, force est de constater que de telles résurrections doivent beaucoup à la volonté des stars. Cyrano aurait-il resurgi s’il n’y avait eu Roberto Alagna à Montpellier en 2003 et Plácido Domingo à New York en 2005 (lire ici)? Carrière exemplaire que celle du ténor espagnol qui n’a jamais cessé d’accompagner l’évolution de sa voix par de nouvelles prises de rôles, parfois audacieuses ou inattendues, et reste à 68 ans une des figures marquantes du monde lyrique. Cyrano sollicitant plus le passage et le haut médium que l’aigu, qu’il n’a jamais eu insolent, le rôle était fait pour lui. On passera donc sur quelques désagréables duretés dans les notes les plus élevées, pour dire que le velours du timbre, même un peu élimé, reste reconnaissable entre tous. Et si les passages relevant de la déclamation en musique, où on ne le sent pas vraiment chez lui, pâtissent toujours de l’exotisme de l’articulation et d’une certaine incompatibilité stylistique, les grands moments lyriques, comme la scène du balcon, sont superbes. La mort de Cyrano, elle, est sublime : on n’y entend plus un grand ténor – rien d’ailleurs n’y flatte le gosier, mais un immense artiste. Nathalie Manfrino, en revanche, inquiète, moins séduisante qu’à Montpellier : si sa Roxane nous émeut par la justesse et la finesse de la composition, la soprano peine à émousser les aspérités de son timbre et à maîtriser son vibrato, surtout dans les pages les plus tendues, où la tessiture appelle une voix plus dramatique, comme la fin du deuxième acte ou, surtout, le troisième, où elle semble épuisée. Remarqué à Salzbourg en 2004 dans un Cosi fan tutte dirigé par Philippe Jordan, l’Albanais Saimir Pirgu, lui, déborde de santé vocale en double de Cyrano, en particulier dans l’aigu ; son Christian souffre seulement d’un manque de familiarité avec le style français. Celui-ci s’incarne dans des rôles secondaires bien tenus, notamment le beau le Bret de Christian Helmer, plus convaincant que le de Guiche parfois un peu court de Marc Labonnette.


Familier du répertoire français, directeur musical du festival Massenet de Saint-Etienne pendant des années, Patrick Fournillier conduit l’œuvre avec un grand sens du théâtre, à la tête d’un orchestre et d’un chœur en excellente forme. On regrette seulement que son enthousiasme le conduise parfois à préférer les effets de masse à la subtilité des textures. Petrika Ionesco, lui, fait ce qu’on fait souvent au Châtelet : du grand spectacle style cape et épée, pas toujours très ordonné, dans des décors reconstituant l’époque, avec, pour le dernier acte, un arbre se détachant sur un joli ciel bleu. On ne lui en demandait probablement pas davantage, de même qu’on n’en demandait pas davantage aux chanteurs. Cela dit, entre le Regietheater et l’opéra de mamie, il y a pourtant de la marge.



Didier van Moere

 

 

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