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William Christie distille de l’ambroisie au public de Pleyel

Paris
Salle Pleyel
05/04/2009 -  et 17, 19, 21, 22, 24, 25, 27, 29, 30 avril 2009 (Madrid)
Claudio Monteverdi : Il Ritorno d’Ulisse in Patria

Kobie van Rensburg (Ulisse), Christine Rice (Penelope), Cyril Auvity (Telemaco), Joseph Cornwell (Eumete), Umberto Chiummo (Antinoo, Feace), Juan Sancho (Anfinomo, Feace), Xavier Sabata (Pisandro, Feace), Ed Lyon (Eurimaco, Giove), Hanna Bayodi-Hirt (Melanto, La Fortuna), Robert Burt (Iro), Claire Debono (Minerva, Amore), Luigi De Donato (Nettuno, Il Tempo), Marina Rodríguez-Cusí (Ericlea), Sonya Yoncheva (Giunone), Terry Wey (l’Umana Fragilità)
Les Arts Florissants, William Christie (direction)


William Christie (© Michel Szabo)



Claudio Monteverdi (1567-1643) est considéré comme le père de l’opéra, ayant effectivement contribué à quitter l’ancien monde du madrigal, qui a eu son heure de gloire au XVIe siècle, pour basculer dans un genre plus élaboré, mêlant notamment une plus grande recherche musicale avec des éléments scéniques. Parmi la trentaine d’opéras qu’il a composés, seuls trois d’entre eux nous sont parvenus in extenso : Orfeo (1607), Il Ritorno d’Ulisse in Patria (1640) et L’Incoronazione di Poppea (1642). Dans ces trois chefs-d’œuvre du baroque naissant, Monteverdi s’est effectivement illustré pour l’art consommé avec lequel il a su allier texte et musique, cette dernière se mettant véritablement au service des mots, sous-tendant l’action dramatique et ne faisant plus office de simple illustration comme on pouvait le déplorer par le passé.


Composé sur un livret de Giacomo Badoaro (1602-1654), Il Ritorno d’Ulisse in Patria fut créé au Teatro San Giovanni e Paolo de Venise en février 1640, à l’occasion du carnaval. Comportant initialement un prologue et cinq actes, la partition a été remaniée pour ne plus comporter qu’un prologue et trois actes. Se fondant très fidèlement sur L’Odyssée, la trame de cet opéra est connue : Ulysse revient sur ses terres d’Ithaque une fois la guerre de Troie terminée mais doit faire face à la fois à la colère des Dieux et à l’avidité cupide des hommes, certains essayant de séduire Pénélope afin de prendre place sur le trône du héros, que beaucoup croient mort. Aidé notamment par Minerve, Ulysse vainc ces différents obstacles et retrouve sa bien-aimée, concluant de manière heureuse un opéra qui, du début à la fin, malmène et tourmente les êtres humains. Si la partition comporte de véritables richesses mélodiques, elle vaut surtout pour la diversité des sentiments qui y sont peints : tour à tour, on peut ainsi écouter des scènes comiques (le personnage d’Irus étant un véritable bouffon sans cesse obsédé par la bonne chère et le confort matériel), pleinement dramatiques (les exemples sont nombreux), intimistes (les duos entre Pénélope et sa fidèle servante, Euryclée, par exemple) ou, au contraire, guerriers et triomphants.


Les dix-sept musiciens des Arts Florissants connaissent ce répertoire par cœur : cela se voit et cela s’entend. Dirigés du clavecin par William Christie, attentif à créer une véritable dynamique dans la partition, à instaurer un parfait équilibre entre voix et instruments, ils firent preuve d’une belle implication tout au long d’une œuvre qui dure tout de même plus de trois heures. L’oreille, peu habituée aux timbres si particuliers des cornetti et du dulciane, se laisse rapidement charmer par ces mélodies qui tantôt peignent une situation psychologique (le jeu des nuances à la deuxième scène de l’acte II, qui rend parfaitement compte de la joie des protagonistes), tantôt miment un caractère (ainsi, le basson, volontairement pataud et fruste aux scènes 11 et 12 de l’acte I, décrit-il mieux que ne le ferait un livre la personnalité d’Irus, toujours préoccupé par le contenu de son estomac).


Mais ce que l’on retiendra surtout, ce sont les voix. Comment rester insensible à cet ensemble de quinze chanteurs où chacun fait montre de qualités exceptionnelles (clarté de la diction, intensité dramatique, virtuosité vocale…) et où, ce qui est plutôt rare, pas un ne semble être en dessous des autres ? Certes, quelques chanteurs furent davantage mis en lumière par les exigences de la partition. A tout seigneur tout honneur, Kobie van Rensburg campe un Ulysse de très haute volée passant du drame au rire (la fameuse scène 10 de l’Acte II : « Je m’en réjouis sans savoir comment ni pourquoi j’en ris ») avec une facilité déconcertante. Parmi les plus beaux moments qui lui sont dévolus, on soulignera notamment son duo avec Pénélope, concluant l’opéra dans une délicatesse et une harmonie incomparables. Partenaire de choix, Christine Rice révèle avec talent la fragilité de Pénélope et, dans le même temps, la force psychologique du personnage qui a su résister aux tentations humaines développées pour la séduire. D’emblée, à la première scène de l’Acte I, elle parvient à concilier dans un même souffle la douleur d’avoir perdu (croit-elle) un époux et la colère nourrie contre Hélène, responsable indirecte du décès d’Ulysse. Cyril Auvity est un fier Télémaque, tout spécialement à la scène 3 de l’Acte II (« Mais que vois-je ? La mort se mue en vie ! ») et, surtout, à la redoutable scène 11 de l’Acte II où, au grand désespoir de sa mère, il lui confie combien il trouvait Hélène désirable et Pâris un bien pâle prétendant pour cette dernière. Son timbre chaud, ses accents passionnés et son émission facile sont autant de qualités qui lui permettent d’incarner son personnage avec une très grande justesse.


Parmi les autres personnages masculins, on insistera tout spécialement sur les qualités vocales de Joseph Cornwell (qui incarne le berger Eumée, âme bonne et secourable, magnifique à chacune de ses interventions, qu’il soit seul ou accompagné comme dans la scène 2 de l’Acte II : « Noble fils d’Ulysse ! ») et de Robert Burt, qui chante le rôle d’Irus, brute épaisse et grossière, avec une théâtralité digne des plus vifs éloges. Parmi les protagonistes féminins, on retiendra tout spécialement les rôles tenus par Claire Debono (qui incarne à la fois l’Amour et la déesse Minerve), douée d’une technique vocale éblouissante, dotée d’un charme et d’un magnétisme indéniables à chaque intervention (« Ulysse est prudent mais Minerve est plus sage » à la scène 8 de l’Acte I) et Hanna Bayodi-Hirt, tragique Mélantho dont les accents passent avec une aisance déconcertante de l’apitoiement (« Les cendres de ton défunt époux ignorent la douleur » proclame-t-elle à la scène 10 de l’Acte I) à la provocation enjôleuse (notamment dans son beau « Séduis-moi ! Célèbre-moi avec tes beaux mensonges » de la scène 2 de l’acte I). De manière générale, on doit applaudir l’ensemble des chanteurs car, encore une fois, chacun fut véritablement à sa place et contribua activement au succès de cette soirée.


La version dirigée ce soir par William Christie était semi scénique, les accessoires (le trident tenu par Neptune, les éclairs brandis par Jupiter, le bâton sur lequel s’appuie Ulysse lorsqu’il apparaît grimé en vieillard…) étant réduits au minimum, de même que le jeu de scène. On ne peut que le regretter tant certains caractères (et chanteurs) seraient parfaits sur une scène d’opéra. Là encore, on insistera sur la bouffonnerie d’Irus (Robert Burt) qui, caution grotesque à l’action dramatique peinte par Monteverdi, ne demandait qu’à s’exprimer pleinement. Quoi qu’il en soit, la Salle Pleyel vécut ce soir un pur moment de grâce (le silence du public doit, pour une fois, être souligné tant il était remarquable) dont Christie se révèle, une fois encore, le grand maître d’œuvre. On ne peut que l’en remercier.


Le site des Arts Florissants
Le site de Kobie van Rensburg
Le site de Christine Rice



Sébastien Gauthier

 

 

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