About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Anti-opéra bouffe

Paris
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet
04/30/2009 -  et 2, 3 mai 2009
Jean-Philippe Calvin : La Cantatrice chauve (création française)

Eléonore Lemaire (Mme Smith), Franck Lopez (M. Smith), Stéphanie Varnerin (Mme Martin), Sébastien Obrecht (M. Martin), Valerie Komar (Mary), Thomas Dear (Le Capitaine des pompiers)
Stefan Tiedje (réalisation électronique), Orchestre Lamoureux, Vincent Renaud (direction musicale)
François Berreur (mise en scène et scénographie), David Belugou (costumes), Françoise Michel (lumières)


E. Lemaire, F. Lopez (© Brigitte Enguerand)


A la différence de Cioran, autre grand Roumain adopté par la France, Ionesco avouait n’être guère sensible à la musique. Il a pourtant inspiré, ne serait-ce que pour l’illustration de ses pièces, bon nombre de compositeurs, tels Gilbert Amy, Vidmantas Bartulis, Mirko Kelemen ou Germaine Tailleferre. A cet égard, La Cantatrice chauve, sa première œuvre dramatique, demeurée aussi la plus célèbre depuis sa création en 1950 par Nicolas Bataille, puis jouée sans interruption depuis le 16 février 1957 au Théâtre de la Huchette, ne fait pas exception, puisque l’Américain Martin Kalmanoff (né en 1920) en a tiré un opéra dès 1962, de même que Luciano Chailly (1920-2002), le père du chef d’orchestre, en 1986 au Kammeroper de Vienne. Cette adaptation – dans laquelle l’Italien avait pris quelques libertés, faisant notamment apparaître et chanter... la cantatrice chauve, qui n’est pourtant pas un personnage de la pièce originale – a été présentée en 1997 à l’Opéra-Comique par une jeune équipe de chanteurs dont certains – Jaël Azzaretti, Patricia Fernandez, François-Nicolas Geslot – se sont fait un nom depuis.


A son tour, Jean-Philippe Calvin (né en 1974) propose, pour son premier ouvrage lyrique, une autre version de La Cantatrice chauve: travaillant à la fois à Paris et à Londres, il était sans doute dit qu’il devait s’intéresser à cette «anti-pièce» se déroulant «dans les environs de Londres», dont l’idée vint à un auteur fasciné, durant son apprentissage de l’anglais, par les phrases stéréotypées de la méthode Assimil. Ce n’est pas dans les environs de Londres, mais au Linbury Theatre de Covent Garden, que l’opéra a été créé, sous la direction de Philip Hedlam et dans une mise en scène de John Lloyd Davies. Alors que des représentations sont à nouveau prévues pour cet automne dans la capitale anglaise, quel autre lieu que l’Athénée pouvait l’accueillir de ce côté-ci de la Manche? Le théâtre a en effet mis à l’affiche voici un peu plus de deux ans la mise en scène conçue en 1991 par le dramaturge Jean-Luc Lagarce (1957-1995) pour la pièce d’Ionesco, reprise dont la responsabilité avait été confiée à François Berreur: pour cette création française de l’opéra, le directeur artistique de la Compagnie Les Intempestifs, qui coproduit le spectacle avec l’Athénée et l’Orchestre Lamoureux, signe à la fois la mise en scène et la scénographie.


La gageure était de taille, car il lui fallait à la fois se démarquer d’une référence qu’il connaissait en outre mieux que quiconque, tout en s’accommodant des contraintes de la partition. La réussite mérite d’autant plus d’être saluée: non seulement le jeu des chanteurs colle parfaitement à la musique, mais la direction d’acteurs, alerte et précise, donne l’impression qu’elle pourrait vivre sa vie sans les notes. Les décors prennent le contrepied des constructions factices et des teintes pimpantes privilégiées par Lagarce, optant pour un noir et blanc très design, sobre, moderne et chic, avec néanmoins ici ou là quelque chose d’onirique, voire d’inquiétant ou d’anxiogène. De même, les costumes de David Belugou renoncent au rose bonbon, au jaune citron et à l’orange flashy tout en situant les personnages sans la moindre équivoque géographique, avec tweed à carreaux ou veste de collégien à liseré coloré, rappelant celle du Numéro 6 dans la série Le Prisonnier. Comme chez Lagarce, les vêtements visent également à traduire la nature interchangeable des protagonistes: mon tailleur est riche, à n’en point douter, mais c’est le même qui habille M. Smith et Mme Martin, d’une part, M. Martin et Mme Smith, d’autre part. Les lumières de Françoise Michel jettent un éclairage cru et, au besoin, stroboscopique sur cet avilissement, plus actuel que jamais, d’un verbe devenu vain.


Des coupures et des modifications ont été pratiquées dans le texte d’Ionesco, surtitré en français, et une voix off lit– en anglais – certaines didascalies. Surtout, l’une des idées-forces de la pièce – à savoir, pour reprendre l’analyse qu’en donnait Nicolas Bataille, «qu’elle n’a ni début ni fin», puisque le rideau tombe pendant que Mme Martin reprend mot à mot le texte de Mme Smith au début de la première scène – est abandonnée au profit d’une conclusion plus abrupte, en forme de pirouette.


Une heure durant, la musique de Calvin s’ébroue joyeusement dans l’hybridation et le pastiche, ne rechignant ni aux clins d’œil (réminiscences balkaniques lorsqu’est évoqué le yaourt de Popesco Rosenfeld, tango pour le récit de Mary, fanfares saluant l’entrée du Capitaine des pompiers), ni aux citations (Rule Britannia, Big Ben), ni même aux citations de citations (le Berio de la Sinfonia recyclant lui-même Mahler et Ravel). Dès lors, on peine à prendre au sérieux les grands intervalles qui caractérisent le plus souvent la prosodie, renvoyant ainsi à l’avant-garde des années 1950: après tout, la pièce pouvant notamment être comprise comme une satire des conventions théâtrales, pourquoi l’opéra n’épinglerait-il pas lui aussi l’esthétique de cette époque, d’autant que le compositeur indique avoir souhaité écrire, «à l’instar de l’anti-pièce de théâtre, une forme contemporaine d’anti-opéra bouffe».


Dans le même esprit, les parties vocales cultivent l’éclectisme, depuis la parodie de grand air jusqu’au rap. Sous la direction de Vincent Renaud, les vingt-quatre musiciens de l’Orchestre Lamoureux se répartissent en quatre bois (y compris clarinette basse mais sans hautbois), trois cuivres, trois percussionnistes, piano et treize cordes; s’y ajoute un dispositif électronique en temps réel réalisé par Stefan Tiedje, avec la diffusion spatialisée de sons divers, particulièrement importante au moment de l’altercation finale, vrombissement qui enfle jusqu’à en devenir assourdissant. Une profusion d’éléments qui tend parfois à la confusion et à l’hyperactivité, alors même que le début du dialogue entre les Smith et les Martin montre qu’une écriture plus dépouillée peut aussi se révéler d’une redoutable efficacité comique. En tout cas, la jeune distribution s’est visiblement prise au jeu, tant musical que théâtral, et, s’il ne fallait mentionner qu’un nom, ce serait celui l’Américaine Valerie Komar, dont l’abattage fait mouche dans le rôle de la bonne.


Le site de Jean-Philippe Calvin
Le site de Valerie Komar



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com