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L’Orchestre philharmonique de Strasbourg retrouvé

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
04/16/2009 -  et 17 avril 2009*
Claude Debussy : Préludes (Premier Livre): 7. «Ce qu’a vu le vent d’Ouest» (version originale pour piano seul, suivie d’une version orchestrée par Colin Matthews)
Maurice Ravel : Concerto pour la main gauche
Gustav Mahler : Symphonie n° 1 «Titan»

Pierre-Laurent Aimard (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht (direction)


P.-L. Aimard (© Felix Broede)


Mise en place insolite que ce début de soirée. L’orchestre s’installe d’abord, puis entrent soliste et chef, mais ensuite pianiste et formation instrumentale ne vont pas jouer une seule mesure ensemble ! La parole est d’abord à Pierre-Laurent Aimard, pour l’un des plus difficiles Préludes de Debussy, Ce qu’a vu le vent d’Ouest, moment de haute école pianistique techniquement vétilleux, mais sans doute plus difficile encore à restituer devant l’orchestre au grand complet, dans une grande salle où une proportion non négligeable du public se sent subitement prise d’une envie impérieuse de feuilleter son programme. Le temps qu’une sérénité minimale s’installe et la pièce en est déjà à son milieu, restituée par un pianiste que l’on sait très sûr mais dont on attendait peut-être davantage d’éclats et de bourrasques.


Directement enchaînée à ce préambule, l’orchestration de ce même Prélude par l’Anglais Colin Matthews ne peut que placer l’échelle dynamique à un tout autre niveau, ce qui a tendance à écraser davantage encore le souvenir que l’on garde de l’exécution pianistique précédente. Un travail d’orchestration lourd, qui tente au départ de retrouver une certaine ductilité française, avec ses nappes de cordes et son contrebasson un peu proéminent, mais qui se raidit ensuite en cascades d’accords souvent plus proches de Messiaen que d’un hypothétique impressionnisme orchestral. De toute évidence Colin Matthews n’a pas cherché à fabriquer du faux Debussy, ce qui est peut-être légitime mais alourdit beaucoup le résultat obtenu. Rappelons que Matthews n’en est pas à son coup d’essai quant à ce genre de travail autour d’un legs préexistant, et qu’il a par exemple complété Les Planètes de Holst en leur ajoutant leur Pluton historiquement manquant, pièce en l’occurrence entièrement composée et non simplement orchestrée (petite erreur du programme de la soirée à rectifier). Une tentative tout aussi stimulante intellectuellement que cette orchestration d’un Prélude de Debussy parmi les plus purement pianistiques, mais malheureusement, et il faut sans doute le déplorer, guère plus marquante musicalement...


Voir, et non simplement entendre, le Concerto pour la main gauche de Ravel est décidément une expérience inoubliable à vivre, tant la déstabilisation permanente du corps du pianiste et l’endurance de marathonien que certains passages lui imposent participent intrinsèquement à l’ambiance torturée de la pièce. Un parcours que Pierre-Laurent Aimard assume brillamment grâce à une technique irréprochable. On ne peut qu’admirer cette magnifique décontraction du poignet et cette indépendance parfaite du pouce, qui élèvent la main traditionnellement faible d’un pianiste à la dignité musicale d’une main gauche de violoniste. Mais même en se déplaçant beaucoup latéralement sur son tabouret, voire en s’agrippant avec sa main droite au bord latéral de l’instrument, Aimard ne parvient pas toujours à obtenir la puissance de frappe nécessaire pour franchir le barrage sonore de l’orchestre. C’est là l’éternel problème de ce concerto du déséquilibre permanent, dont les climax les plus forts, en particulier la résolution de la cadence dans l’effet d’anéantissement conclusif, ne passent en définitive bien qu’au disque (et encore... seulement quand le preneur de son veille à bien faire fonctionner ses manettes). L’Orchestre philharmonique de Strasbourg brille quant à lui dans sa forme des grands soirs, les couleurs sombres de l’orchestration ravélienne semblant bien lui convenir, y compris des soli de contrebasson et de basson d’une sombre beauté, voire des trompettes brillantes qui s’affirment avec exactement la sonorité et la puissance requises.


Contraste total ensuite avec le bis proposé par Pierre-Laurent Aimard, un serein septième Prélude de Messiaen, intitulé «Plainte calme», dont l’ambiance «gris velouté, reflets mauves et verts» (sic) conclut cette riche première partie sur un accord apaisé.


Ce qu'il faut bien appeler l'état de grâce instrumental de l'orchestre va se maintenir tout au long d’une Première Symphonie de Mahler quasiment sans défaut, que l’auditeur va pouvoir suivre jusqu’à son moindre détail narratif, comme un roman orchestral dont le suspense est maintenu à chaque page. Marc Albrecht parvient à trouver ici l’équilibre idéal entre une analyse qui sait mettre en valeur le moindre détail et un sens de la progression dramatique qui n’est jamais pris en défaut. Le secret de fabrication d’une telle réussite étant sans doute, et les exécutions mahlériennes échappent rarement à cette loi, exceptés pour de rares génies singuliers de la baguette, un refus systématique du laisser-aller rythmique, voire de l’incident de parcours proéminent et violemment aguicheur. Une fois passé le Kräftig bewegt, fermement campé sur son assise grave mais sans raideur, on sait déjà que la partie est gagnée, mais l’élégance du Feierlich, qui manie la parodie avec un extraordinaire doigté, et plus encore la tenue architecturale irréprochable du finale, font de cette exécution de notre bonne vieille Titan l’une des plus stimulantes et constamment lisibles que l’on ait pu personnellement écouter en concert. Quant à l’idée de faire se lever tous les cors d’un seul bloc au cours des dernières mesures, et non simplement de les faire jouer pavillon vers le haut, elle rajoute à la conclusion triomphale un petit stimulus visuel d’une redoutable efficacité. La comparaison de cette finition d’ensemble irréprochable au chacun pour soi généralisé d’une exécution précédente de cette œuvre à Strasbourg, sous la baguette de Gary Bertini (2004), en dit en tout cas très long sur la qualité du travail accompli par l’orchestre au cours de l’actuel mandat de Marc Albrecht. Accueil inhabituellement enthousiaste du public d’abonnés strasbourgeois, à l’issue d’un concert ressenti par tous comme exceptionnel.



Laurent Barthel

 

 

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