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La leçon d’interprétation de Sigiswald Kuijken Paris Eglise Saint-Roch 04/23/2009 - Johann Sebastian Bach : Cantates BWV 67 « Halt im Gedächtnis Jesum Christ », BWV 85 « Ich bin ein guter Hirt » et BWV 12 « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen »
Gerlinde Sämann (soprano), Petra Noskaiovà (alto), Christoph Genz (ténor), Jan Van Der Crabben (basse)
La Petite Bande, Sigiswald Kuijken (violon solo, violoncelle piccolo et direction)
La Petite Bande (© Frank Toussaint)
Les fêtes pascales offrent toujours une bonne occasion de faire entendre à un public ravi quelques œuvres musicales composées pour la circonstance. Il y a un peu moins d’un an, en cette même église Saint-Roch, Philippe Herreweghe dirigeait notamment l’Oratorio de Pâques (voir ici) ; cette année, c’est un autre interprète ô combien avisé de la musique de Johann Sebastian Bach (1685-1750) qui était à l’honneur. Sigiswald Kuijken et sa célèbre Petite Bande (fondée en 1972) jouaient en effet trois cantates du Cantor, chacune destinée à l’un des trois dimanches suivant la fête de Pâques.
De façon quelque peu inattendue, le concert commença non par de la musique mais… par une conférence. En effet, devant un public conséquent, Sigiswald Kuijken avoua que les trois cantates étaient certes très belles mais également assez brèves : il lui a donc semblé opportun de donner, en guise d’introduction, une « explication de texte » du programme qui a tout de même allégrement dépassé les vingt minutes. Contrairement aux impatiences impolies manifestées par quelques spectateurs, on ne peut que louer cette initiative, à la fois simple et didactique, riche et passionnée, qui a sans nul doute permis de mieux apprécier trois œuvres dont le message et la musique s’avèrent extrêmement différents.
Créée le 16 avril 1724 pour le premier dimanche après Pâques, la Cantate BWV 67 « Halt im gedächtnis Jesum Christ » (« Gardez le souvenir de Jésus-Christ ») est fondée sur des textes issus de l’Evangile selon saint Jean et s’attache, naturellement, à l’épisode de la Résurrection. Derrière ce contexte on ne peut plus classique, la cantate est en vérité très originale dans son message, oscillant constamment entre des sentiments opposés, où l’auditeur ne sait trop quoi penser, son esprit (alors qu’il devrait être joyeux) étant perturbé par le mystère inquiétant de la Résurrection, peur symbolisée par le vers « Ach, daß mich noch Gefahr und Schrecken trifft! » (« Préserve-moi du péril et de l’épouvante ! »). Ainsi, après le chœur introductif, la cantate laisse le ténor décrire la scène où Thomas n’a pas cru en la Résurrection du Christ avant que, ne se ravisant, il ne s’en félicite. De même, le récitatif de l’alto (Doch scheinet fast, Daß mich der Feinde Rest), où brille l’excellente Petra Noskaiovà, mêle à la fois joie et stupeur, voire effroi, devant un phénomène que nul ne s’explique. La Petite Bande (qui, avec seulement quatre violons, un alto, une basse continue, une flûte traversière, deux hautbois et une trompette, n’a jamais autant mérité son nom) montre immédiatement la voie : peignant les sentiments plus qu’elle ne les joue, elle offre un écrin délicat aux voix masculines (ténor et basse) , l’alto n’officiant individuellement que dans le cadre des récitatifs. Si le chœur, composé des seuls quatre chanteurs, pâtit d’une certaine sécheresse, le résultat n’en est pas moins pleinement agréable et convaincant.
Poursuivant la chronologie des œuvres, la deuxième cantate, « Ich bin ein guter Hirt » (« Je suis un bon berger »), a été fort logiquement donnée pour le deuxième dimanche après Pâques. Créée le 15 avril 1725 à Leipzig, également tirée de l’Evangile selon saint Jean, c’est un très bel épisode, nimbé d’une atmosphère toute pastorale, dont le sommet réside dans le magnifique aria confié à l’alto (Petra Noskaiovà s’avérant parfaite dans son implication et dans sa diction), Jesus ist ein guter Hirt (« Jésus est un bon berger »), et au violoncello piccolo. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son appellation, cet instrument ressemble davantage à un grand alto, possédant une cinquième corde (une corde de mi en sus des quatre cordes habituelles) et sonnant une octave en dessous du violon. Tenu en bandoulière par Sigiswald Kuijken, un peu à la manière d’une guitare, mais jouée avec un archet, il offrit à la chanteuse et au public un accompagnement tout à fait extraordinaire, où se combinaient avec grâce son velouté et virtuosité. Après un passage aussi idéalement interprété, on s’avère d’autant plus déçu par la faible intensité de l’aria confié à la soprano Gerlinde Sämann (Der Herr ist mein getreuer Hirt, Dem ich mich ganz vertraue, « Le Seigneur est mon pasteur fidèle, à lui pour tout je me fie »), généralement en-deçà de ses trois partenaires, pourtant soutenue avec attention par les deux hautbois de La Petite Bande.
Le concert se concluait par la Cantate BWV 12 « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen » (« Pleurs, lamentations, tourments, découragement »), peut-être la plus célèbre des trois, en tout cas la plus riche du point de vue orchestral. Œuvre de jeunesse composée à Weimar en 1714, elle a vraisemblablement été exécutée pour la première fois le 22 avril 1714, soit le troisième dimanche suivant Pâques. Débutant par une belle Sinfonia, elle est dominée par un climat de désolation qui, au fil du propos, s’éclaircit puisque, en dépit des malheurs qui frappent l’être humain ici-bas, le texte nous incite à nous porter vers Dieu dont la présence seule permet à chacun, accueilli avec ses forces et ses faiblesses, de se raccrocher en toute quiétude à une autorité rassurante (tel est d’ailleurs le sens du chœur conclusif Was Gott tut, das ist wohlgetan, Dabei will ich verbleiben). Là encore, ce sont les voix masculines qui sont mises à l’honneur : avec élégance et dépouillement, Christoph Genz et Jan Van Der Crabben conduisent l’auditeur dans une atmosphère où dominent surtout la simplicité des sentiments et le doux agencement entre voix et orchestre. L’évidence musicale fait de nouveau merveille, Sigiswald Kuijken et ses partenaires illustrant une fois encore leur parfaite compréhension de la musique de Bach. Vivement Pâques 2010 !
Le site de La Petite Bande
Sébastien Gauthier
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